Qui était Modibo Keita ?
Considéré comme « l’un des plus grands leaders du tiers-monde », le premier président du Mali jouissait d’une grande notoriété qui franchissait les frontières de son pays et du continent africain.
L’homme avait du caractère. Sa combativité, son intransigeance et sa ténacité trouvaient leurs justifications dans un idéal profond. Ainsi, c’est, parfois, avec acharnement qu’il défendait les causes auxquelles il croyait profondément. Pugnacité, persévérance, courage, sacrifices et dignité sont des mots qui caractérisent son combat politique et syndical.
Par ailleurs, le militant qu’il était, savait faire preuve de réalisme, de pragmatisme et d’imagination créatrice pour faire triompher ses idéaux d’indépendance, de justice, de liberté et de paix.
Certains lui ont reproché un style autoritaire et une certaine intransigeance (qu’il manifestait d’ailleurs, envers lui-même). Le tempérament et la forte personnalité de Modibo Keita ont souvent nourri cette accusation « d’autoritarisme ».
Pourtant, l’homme ne concevait son action que dans un cadre collectif. Il est vrai, en effet, que Modibo Keita avait une autorité naturelle qui découlait très logiquement de sa force de conviction et de son comportement personnel qu’il voulait exemplaire.
Pour l’historien, le professeur, Bakary Kamian : « Il n’était autoritaire qu’en apparence , il était autoritaire quand il s’agissait d’appliquer et de faire respecter les règles, mais il aimait écouter les autres et, éventuellement, changer de position. »
Quand à Monsieur Idrissa Diarra, il rapporte : « Dans les réunions, malgré sa forte personnalité, qui pourrait lui permettre d’imposer aisément son opinion, Modibo Keita s’efforce de susciter la discussion afin que tous les avis soient exposés,… ».
Modibo Keita, leader charismatique, écouté sur la scène internationale, a acquis, grâce à son action et à ses idées, prestige et respect.
Il avait le verbe haut, le nationalisme à fleur de peau, de la dignité et de la distinction dans le comportement, le non-alignement comme principe et le panafricanisme dans la tête.
Un parcours exceptionnel
Fils de Daba Keita et Hatouma Camara, Modibo Keita est né le 4 juin 1915 à Bamako-coura, un quartier de Bamako.
De 1925 à 1931, il fréquente l’école primaire urbaine de Bamako. A partir de 1931 il entre au lycée « Terrasson de Fougère », aujourd’hui lycée « Askia Mohamed ». Trois ans plus tard, il part pour l’école normale supérieure William Ponty de Dakar où il passera deux ans. Modibo Keita sortira major de cette prestigieuse école et deviendra instituteur en septembre 1938.
Ses professeurs le signalèrent comme :« Instituteur d’élite, très intelligent, mais anti-français… Agitateur de haute classe à surveiller de près ».
Modibo Keita n’était pas anti-français, mais, il était viscéralement anticolonialiste.
Profondément ulcéré par la situation de l’Afrique sous domination coloniale, Modibo Keita a mené depuis 1937 des activités dans plusieurs mouvements et associations :
Animateur du groupe « Art et Théâtre », il se moque, dans des piécettes, de la bourgeoisie et des représentants de l’autorité coloniale, pour la grande joie du petit peuple.
– Pendant la période du Front populaire en France, sur le mot d’ordre « Égalité avec les Blanc », il crée, avec le Voltaïque Ouezzin Coulibaly (3), le syndicat des enseignants d’A.O.F..
– Dans une publication qu’il crée en 1943, « L’œil de Kénédougou », il critique ouvertement la société féodale et le pouvoir colonial.
– Son nationalisme intransigeant, son activisme politique et syndical vont le conduire en prison : Considéré comme un dangereux opposant à l’administration coloniale, il sera condamné, par les Français, à 6 mois de détention. Incarcéré le 21 février 1947 à la prison de la santé à Paris, il sera finalement relâché le 11 mars.
– La même année, Modibo Keita devient le secrétaire général du premier bureau de l’US-RDA, section soudanaise du R.D.A. (Rassemblement Démocratique Africain ) dont il fut l’un des fondateurs.
– Une année plus tard, il obtient un siège à l’Assemblée territoriale à Paris.
– Le 10 octobre 1953, il est élu membre de l’assemblée de l’union française.
– Le 26 novembre 1956 Modibo Keita est élu maire de Bamako.
– C’est aussi l’année où il entre à l’assemblée nationale française dont il sera le premier vice-président africain.
– En juin et novembre 1957, il sera, deux fois, ministre à Paris : Secrétaire d’Etat dans les gouvernements Bourgès-Maunoury et Gaillard .
– En 1958, il devient président de l’Assemblée constituante de la fédération, puis président du Conseil après les élections de mars 1959.
– Le 20 juillet 1960 Modibo Keita devient le chef de gouvernement de la fédération du Mali rassemblant le Soudan (actuel Mali) et le Sénégal.
– Le 22 septembre 1960, après l’éclatement de la fédération, Modibo Keita deviendra le premier président de la jeune république du Mali.
– Il sera réinvesti dans cette charge (de président) en Janvier 1961 par l’Assemblée nationale unanime.
– En 1963, il est l’un des rédacteurs de la Charte de l’O.U.A. (Organisation de l’Unité africaine) dont il fût l’un des principaux artisans.
– C’est aussi l’année où il reçoit le prix Lénine international pour ses actions en faveur du « renforcement de la paix entre les peuples ».
– Le 13 mai 1964 on assiste à la réélection de Modibo Keita à la présidence de la république.
– Le 19 novembre 1968 Modibo Keita est renversé par un coup d’État militaire.
– Le 16 mai 1977, il meurt en détention dans des conditions mystérieuses
La quête de l’unité Africaine
Modibo Keita et l’U.S.R.D.A. avaient un souci : la balkanisation de l’Afrique. Pour eux, il fallait faire l’unité africaine et former ainsi une grande entité face à l’Europe impérialiste et l’Amérique capitaliste.
Penchant pour les thèses fédéralistes du leader nigérien Bakary Djibo(1) qui préconise « une indépendance dans une union confédérale d’États souverains réunis autour de la France », Modibo Keita appellera à voter « OUI » lors du référendum de 1958, au nom de l’unité africaine.
La réalisation de la fédération du Mali était l’aboutissement d’un rêve panafricaniste : Au départ il s’agissait de fédérer le plus grand nombre de territoires de l’A.O.F. La Côte d’Ivoire et le Niger (qui n’avait plus à sa tête Bakary Djibo) étaient antifédéralismes et étaient donc exclus. La Guinée était déjà indépendante (elle a répondu non au référendum). Il restait : le Sénégal, le Soudan, le Dahomey, la Haute Volta et la Mauritanie.
Finalement l’union se fera à deux : Soudan et Sénégal.
Malheureusement, cet œuvre pionnier du panafricanisme qui souleva des espoirs immenses partout en Afrique et dans le monde ne durera pas longtemps.
Parmi les causes nombreuses de l’éclatement de la Fédération du Mali, on peut retenir, la divergence de conception politique et économique. Léopold Sédar Senghor était partisan du maintien des relations étroites avec l’ancien colonisateur tandis que Modibo Keita envisageait une africanisation accélérée des cadres et avait une position plus radicale.
Le 23 août 1960 Senghor déclarait : « La colonisation a été plus brutale, plus dure au Soudan qu’au Sénégal. D’où un certain radicalisme soudanais….»
Modibo Keita de son côté, affirmait : « Nous avons pendant longtemps violé notre conscience en travaillant avec Senghor. Nous ne pouvions continuer sur cette voie ».
L’éclatement de la fédération du Mali fut une grande déception.
Le Soudan va accéder à l’indépendance sous le nom de « Mali » et la quête de l’unité africaine va continuer.
L’organisation de l’unité africaine (OUA)
Modibo Keita joue un rôle de premier plan à la signature de la charte de l’Organisation de l’Unité Africaine (O.U.A.) à Addis Abeba le 25 mai 1963 : Un grand nombre des recommandations de cette charte était d’inspiration malienne.
L’importance de l’apport de Modibo Keita pendant ce premier sommet de l’organisation de l’unité africaine a été soulignée par le président sénégalais, Léopold Sédar Senghor, qui, en recevant le leader malien à Dakar en décembre 1966 s’adressa à lui en ces termes :
« Vous êtes un grand africain qui a joué dans nos conseils, singulièrement à l’Organisation de l’Unité Africaine, un rôle primordial, grâce à votre amour pour l’Afrique»
La conférence de Bamako
Modibo Keita médiateur entre l’Algérie et le Maroc
Au service de l’unité africaine, Modibo Keita ne ménagera aucun effort pour résoudre les crises entre les pays africains. Ainsi, les 29 et 30 octobre 1963 il reçoit, à Bamako, le roi du Maroc, le président algérien et l’empereur d’Éthiopie ( alors président de l’O.U.A) pour mettre fin à la « guerre des sables » (conflit frontalier entre l’Algérie et le Maroc) : L’O.U.A venait alors de franchir sa première crise. La réussite de la conférence de Bamako montre bien que Modibo Keita était respecté par les autres chefs d’Etat et était écouté sur la scène internationale.
Soutien aux mouvements de libération nationale
On peut rappeler le soutien matériel du Mali aux combattants algériens du F.L.N(2) en lutte pour leur indépendance. Ce soutien créa d’ailleurs des « frictions » entre le Mali et la France et, était un sujet de divergence entre Modibo Keita et le sénégalais L. S. Senghor au sein de la fédération du Mali. Au sujet du problème du Congo, la position de Modibo comme de Nkrumah était de s’opposer aux interventions étrangères. Avec Ben Bella, Nyerere, Nasser, Kenyatta et Sekou Touré il a essayé de sauver la révolution Zaïroise. Outre les nationalistes du Congo et le F.L.N d’Algérie, Modibo Keita apporta son aide aux mouvements de libération en Angola, au Mozambique et en Guinée-Bissau. Il ne ménagea pas ses efforts pour soutenir les militants anti-apartheids en Afrique du Sud. En Décembre 1965, le Mali rompt ses relations diplomatiques avec Londres pour condamner l’attitude anglaise dans l’affaire de l’indépendance de la Rhodésie du Sud, proclamée unilatéralement par la minorité blanche de ce territoire. Modibo Keita a également soutenu activement Hô Chi Minh dans la guerre de libération du Viêt-Nam. Qu’ils soient d’Afrique, d’Asie, ou d’Amérique latine, Modibo Keita était de tous les combats d’émancipation des opprimés.
Voilà ce que Modibo Keita disait à propos de cet engagement :
« Partout où l’homme africain, l’homme tout court, était asservi, bafoué, notre Parti n’a pas recherché la criminelle médiation ; c’est résolument qu’il a porté aide à nos frères opprimés. Cette netteté dans nos positions, cette constance et cette fidélité, nous ont valu (et ce sera notre bonheur) la confiance de tous les patriotes africains au combat qui, demain comme aujourd’hui, trouveront chez nous le constant soutien qu’ils sont en droit d’exiger des frères engagés que nous sommes.»
Le Mali de Modibo Keita
La fédération du Mali est morte, le Mali de Modibo Keita est né. L’éclatement de la fédération du Mali a eu pour effet de renforcer l’unité nationale. Le parti de Modibo Keita (l’U.S.R.D.A) devient parti unique de fait.
Les premières prises de position de la jeune république, en matière de politique extérieure furent sans détour:
Soutien à l’Algérie en lutte pour son indépendance;
Evacuation des bases militaires françaises qui stationnaient au Mali;
Condamnation des essais nucléaires français dans le Sahara.
Tout cela n’améliorait pas les relations franco-maliennes, déjà très affectées par les évènements liés à l’éclatement de la fédération du Mali.
La diplomatie malienne suivait quelques principes :
– souveraineté nationale ;
– unité africaine et non-alignement ;
– défense de la paix ;
– émancipation du tiers-monde.
La politique intérieure des dirigeants maliens avait notamment comme objectifs :
– l’édification d’un socialisme adapté aux réalités maliennes ;
– la décolonisation des mentalités et l’affirmation de la personnalité africaine ;
– La consolidation de l’indépendance nationale dans tous les domaines.
L’adhésion de la population aux options du parti se manifestera souvent de façon spectaculaire comme la participation massive aux « investissements humains » pour construire des écoles, des dispensaires, des routes, etc…
La nouvelle société malienne
De 1960 à 1963 le Mali va connaître une expérience exaltante : La société malienne va complètement changer de physionomie. Les jeunes (qualifiés de « force de la nation ») feront l’objet d’attentions particulières. Plusieurs structures vont être créées en destination de la jeunesse :
– Des organisations éducatives et culturelles afin de revaloriser la culture traditionnelle et mobiliser l’ardeur et le dynamisme des jeunes,
– les mouvements des pionniers pour développer leur esprit patriotique.
– Le service civique pour assurer la formation politique et civique de ceux d’entre eux qui vivaient dans les campagnes.
Problèmes et radicalisation du socialisme malien
Un environnement hostile
L’œuvre d’édification nationale de Modibo Keita et son action pour la paix, furent récompensées par le Prix Lénine international en 1963. Pourtant le pari était loin d’être gagné car la création du Mali dans le contexte de l’époque représentait un véritable défi : L’environnement était indéniablement hostile.
Le premier handicap était géographique : le Mali est un pays continental menacé par le désert. D’autre part, vouloir édifier un pays à option socialiste et anticolonialiste dans un contexte néo-colonial relevait de la gageure. Dans ces conditions les erreurs ne pardonnent pas.
Modibo Keita et son équipe voulaient améliorer le niveau de vie des maliens. Ils voulaient affirmer la souveraineté totale du pays et « débarrasser le peuple des séquelles du colonialisme. »
Tout le monde était conscient des difficultés de la tâche et Modibo Keita le premier. Déjà le 22 septembre 1961, il prévenait :
« La transformation qualitative de la société malienne passera par des étapes successives et chacune de ces étapes, connaîtra des succès, mais aussi des difficultés. Désormais nous devons compter d’abord sur nous même, sur l’effort créateur de notre peuple »
Tous les maliens étaient-ils disposés à fournir cet « effort » ?
Difficultés économiques et problèmes politiques
Des problèmes économiques graves vont très vite apparaître. Ces difficultés économiques vont entraîner une résurrection de l’opposition politique : Le 20 juillet 1962, les dirigeants du P.S.P appellent les commerçants à manifester leur hostilité à la réforme monétaire.
La défaillance économique, La « guerre des clans », la dégradation du militantisme, et la chute du Docteur Kwamé Nkrumah vont entraîner la radicalisation du régime.
Radicalisation du régime
La non-satisfaction immédiate des aspirations matérielles des masses populaires, les abus et les exactions des structures d’encadrement comme la milice populaire ont entraîné la désaffection d’une partie du peuple.
Le revirement monétaire de 1967 pour mettre fin à la dégradation du franc malien ne permettra pas de redresser la situation. Bien au contraire : Les accords monétaires de 1967 entre le Mali et la France, (négociés par l’aile droite de l’US-RDA), étaient incontestablement un frein à l’expérience menée au Mali depuis 1960.
Début novembre 1968, le président Modibo Keita déclarait :
« Les Accords de 1967 sont un piège. Il nous faut nous préparer à les rompre ».
Mais certaines » forces » n’étaient pas disposées à le laisser faire : Le 19 novembre 1968 un coup d’État militaire mettra fin au régime de Modibo Keita.
Comme l’a constaté B. Nantet, » Même si l’image de Modibo Keita a toujours été prestigieuse à l’extérieur du Mali, les difficultés économiques, la bureaucratisation grandissante et la mauvaise gestion administrative furent un obstacle à la participation de la majeure partie des couches populaires paysannes. La création d’une milice toute-puissante honnie du peuple et le départ de certains de ses compagnons en avaient fait un homme seul quand les militaires prirent le pouvoir.«
L’expérience menée au Mali de 1960 à 1968 est enrichissante. Le pays en a connu d’autres depuis. On peut raisonnablement penser que les Maliens sauront tirer toutes les leçons de leur histoire récente. Le président Modibo Keita, premier président du Mali était un patriote émérite. Il avait une foi inébranlable au destin de son pays.
Source :
About Mo Abudu – modibo-keita.site