Qui est Thomas Sankara, le révolutionnaire

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L’impérialisme se manifeste souvent sous des formes plus subtiles, un prêt, une aide alimentaire, un chantage. Nous combattons ce système qui permet à une poignée d’hommes sur Terre de gouverner toute l’humanité.

Thomas Sankara est né le 21 décembre 1949 à Yako, dans l’ancienne Haute-Volta, aujourd’hui Burkina Faso. Issu d’une famille modeste, il suit une formation militaire rigoureuse qui marque profondément sa vision politique. Très tôt, il s’imprègne des idéaux marxistes, panafricanistes et tiers-mondistes, notamment lors de ses études à Madagascar où il côtoie des jeunes coopérants marxistes et assiste à une révolution qui influence sa pensée. Il développe une conception originale de la formation militaire, insistant sur la dimension politique et citoyenne du soldat : « sans formation politique patriotique, un militaire n’est qu’un criminel en puissance ».

Avant son arrivée au pouvoir, la Haute-Volta est un pays pauvre, enclavé, avec peu de ressources naturelles, et marqué par une instabilité politique chronique. Le pays est soumis à une domination néocoloniale, notamment française, qui maintient une économie dépendante et une classe politique souvent corrompue et déconnectée des réalités populaires. La population vit dans la précarité, et les inégalités sociales sont criantes, alimentant un climat de mécontentement et de tensions sociales.

Ainsi, Thomas Sankara arrive sur la scène politique dans un contexte où la jeunesse, les syndicats, les partis de gauche et les mouvements sociaux réclament un changement radical, une rupture avec le néocolonialisme et une véritable émancipation nationale. Ce terreau social et politique prépare le terrain pour la révolution qu’il incarnera quelques années plus tard.

L’ascension au pouvoir

Le coup d’État du 4 août 1983 marque un tournant décisif dans l’histoire du Burkina Faso. Mené par Thomas Sankara et Blaise Compaoré, ce coup d’État met fin au régime de Jean-Baptiste Ouédraogo et propulse Sankara à la tête du pays.

Plusieurs facteurs expliquent ce coup d’État. D’une part, le régime de Ouédraogo est perçu comme instable et incapable de répondre aux problèmes socio-économiques du pays. D’autre part, Sankara incarne un espoir de changement radical pour une grande partie de la population, notamment les jeunes, les syndicats et les mouvements de gauche.

L’alliance entre Sankara et Compaoré est également un élément clé de cette prise de pouvoir. Les deux hommes partagent une vision politique commune et sont déterminés à transformer la société burkinabè.

Dès son arrivée au pouvoir, Sankara met en place des réformes ambitieuses visant à lutter contre la corruption, à promouvoir l’indépendance économique et à améliorer les conditions de vie des populations.

Le 4 août 1984, il rebaptise la Haute-Volta en Burkina Faso, signifiant “le pays des hommes intègres”. Ce changement de nom symbolise la volonté de rupture avec le passé colonial et l’affirmation d’une nouvelle identité nationale.

Sankara se distingue par son discours révolutionnaire, son charisme et sa vision. Il appelle à une transformation profonde de la société, basée sur la justice sociale, l’égalité et la dignité. Son discours résonne auprès d’une population lassée de la pauvreté, de la corruption et de la domination étrangère. Il s’entoure de cadres compétents et défend la transformation de l’administration, la redistribution des richesses, la libération des femmes, la responsabilisation de la jeunesse, la décentralisation, la lutte contre la corruption, etc.

Cependant, son régime est également critiqué pour son autoritarisme et sa répression des opposants. Les Comités de défense de la révolution (CDR), créés pour soutenir la révolution, sont accusés d’exactions et de dérives.

Malgré ces critiques, l’ascension de Sankara au pouvoir marque une période d’espoir et de transformation pour le Burkina Faso. Son leadership charismatique et ses réformes audacieuses laissent une empreinte durable sur le pays et inspirent de nombreux mouvements sociaux et politiques en Afrique et dans le monde.

Les grandes réformes de la Révolution sankariste

Dès son arrivée au pouvoir, Thomas Sankara lance une série de réformes radicales visant à transformer profondément la société burkinabè.

Lutte contre la corruption

Sankara fait de la bonne gouvernance un pilier central de sa révolution. Il réduit drastiquement le train de vie de l’État, imposant l’exemple par sa propre modestie : il remplace les voitures de luxe des ministres par des Renault 5 et ponctionne les salaires de 5 à 12 % pour renforcer l’investissement public. Il crée aussi des tribunaux populaires pour juger les agents corrompus, avec des procès retransmis à la radio, afin de sensibiliser la population à la lutte contre la corruption.

Autonomie économique

Il prône une économie autosuffisante, rompant avec la dépendance à l’aide extérieure qu’il qualifie de « réflexe de mendiant ». Pour cela, il interdit l’importation de fruits et légumes afin de favoriser la production locale, met en place des circuits de distribution nationaux et encourage la consommation des produits burkinabè avec le slogan « Consommons burkinabé ! ». En 1987, le Burkina Faso atteint l’autosuffisance alimentaire, un exploit salué par les Nations unies.

Santé et éducation

Sankara lance des campagnes de vaccination massives qui permettent d’éradiquer plusieurs maladies. Il développe également des programmes d’alphabétisation populaire pour combattre l’analphabétisme, mettant l’éducation au cœur du développement national.

Émancipation des femmes

Il mène une politique volontariste pour l’égalité des sexes : il interdit les mutilations génitales féminines, lutte contre la polygamie et les mariages forcés, et promeut la participation des femmes dans tous les domaines, y compris dans l’armée. Il nomme des femmes à des postes ministériels et sensibilise la société à la nécessité de l’égalité.

Souveraineté nationale

Sankara rejette l’aide conditionnée et critique ouvertement le néocolonialisme. Il refuse que la dette extérieure soit un fardeau pour son pays et dénonce la domination des anciennes puissances coloniales. Son discours à l’ONU en 1984 est un appel vibrant à la justice économique et politique pour l’Afrique.

Ces réformes, menées à marche forcée, transforment le Burkina Faso en quelques années, malgré des résistances internes et des critiques sur certaines méthodes autoritaires, notamment via les Comités de défense de la révolution (CDR), parfois accusés d’exactions. Néanmoins, Sankara parvient à éradiquer la faim et à poser les bases d’un développement autonome et solidaire.

Son discours politique et idéologique

Thomas Sankara est avant tout un révolutionnaire marxiste-léniniste, anticapitaliste et anti-impérialiste, dont le discours politique est marqué par une volonté de rupture radicale avec le néocolonialisme et l’exploitation économique de l’Afrique. Dès son discours d’orientation politique en octobre 1983, il pose les fondations d’une révolution populaire fondée sur la souveraineté nationale, la justice sociale et la mobilisation collective.

Son discours à l’Assemblée générale des Nations unies, le 4 octobre 1984, est resté célèbre. Il y dénonce vigoureusement la dette africaine, qu’il qualifie d’« arme de destruction massive », et appelle à un refus collectif de son paiement par les pays africains. Il critique aussi le système financier international, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, qu’il accuse d’imposer des conditions néfastes à l’Afrique et de maintenir le continent dans une forme de dépendance économique.

Sankara prône une vision panafricaine forte, insistant sur la solidarité entre les peuples africains pour résister à l’impérialisme. Il affirme que l’unité africaine est indispensable pour briser les chaînes du colonialisme et du néocolonialisme. Il soutient également les luttes nationales pour la souveraineté, comme celles du Sahara occidental, de la Palestine ou de l’ANC sud-africaine, et appelle à boycotter les Jeux olympiques de 1984 en signe de protestation contre le soutien américain à l’apartheid et à Israël.

Son idéologie est aussi profondément féministe et écologiste, intégrant la libération des femmes comme un élément clé de la révolution et lançant des programmes pionniers de lutte contre la désertification et la déforestation.

Sankara incarne ainsi un modèle de chef d’État révolutionnaire, jeune, charismatique et visionnaire, qui lie étroitement discours politique et action concrète pour transformer la société burkinabè et inspirer les mouvements progressistes à travers l’Afrique.

La chute et l’assassinat

Le 15 octobre 1987, un coup d’État mené par Blaise Compaoré met fin brutalement à l’expérience révolutionnaire de Thomas Sankara. Des tensions internes, liées notamment à des divergences stratégiques et à des luttes de pouvoir, fragilisent le régime. Compaoré, considéré comme le numéro deux du régime, profite de cette situation pour orchestrer un coup d’État sanglant.

Les circonstances exactes de l’assassinat de Sankara restent encore floues, mais il est établi qu’il est tué avec douze de ses compagnons lors d’une réunion au Conseil de l’Entente à Ouagadougou. Un commando militaire fait irruption et ouvre le feu, tuant Sankara et ses proches.

Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer ce coup d’État et cet assassinat. Les tensions internes au sein du régime, les pressions extérieures exercées par des puissances occidentales hostiles à la politique anti-impérialiste de Sankara, et les ambitions personnelles de Blaise Compaoré sont autant de facteurs qui ont pu contribuer à ce tragique événement. L’implication de puissances étrangères, notamment la France, a souvent été évoquée, en raison de la politique anti-impérialiste de Sankara et de sa dénonciation du néocolonialisme. Des soupçons pèsent également sur la Libye de Kadhafi, dont les relations avec Sankara s’étaient détériorées.

Après l’assassinat de Sankara, Blaise Compaoré prend le pouvoir et met en place un régime autoritaire qui marque un tournant dans l’histoire du Burkina Faso. Les réformes de la révolution sankariste sont abandonnées, et le pays revient à une politique économique libérale.

La mort de Sankara plonge le Burkina Faso dans une période de deuil et de désillusion. Son assassinat reste une blessure ouverte pour de nombreux Burkinabè, qui voient en lui un héros national et un symbole de l’intégrité et de la lutte contre la corruption.

En avril 2022, Blaise Compaoré est condamné par contumace à la prison à perpétuité pour son rôle dans l’assassinat de Thomas Sankara. Gilbert Diendéré, un autre accusé, reçoit la même peine.

L’héritage de Thomas Sankara

Thomas Sankara laisse un héritage puissant et durable, tant au Burkina Faso qu’à travers l’Afrique et le monde. Son image est celle d’un homme intègre, d’un révolutionnaire authentique qui a su incarner l’espoir d’une Afrique libre, souveraine et socialement juste.

Au Burkina Faso, malgré les années de répression post-1987, Sankara est resté une figure emblématique, notamment pour la jeunesse. Son combat contre la corruption, son engagement pour l’autosuffisance alimentaire, la santé publique, l’éducation et l’émancipation des femmes continuent d’inspirer. Il a nationalisé les terres, lancé des campagnes de vaccination massive et encouragé l’éducation populaire, ce qui a permis d’éradiquer la faim et d’améliorer significativement les conditions de vie.

Sur le plan international, Sankara est souvent surnommé le « Che Guevara africain ». Il est devenu une icône des mouvements panafricains et anti-impérialistes. Son discours contre la dette africaine est repris par des organisations comme le Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM), qui font de son combat un étendard pour la justice économique mondiale.

La reconnaissance posthume de Sankara s’est accélérée ces dernières années. En 2021, ses restes et ceux de ses douze compagnons assassinés ont été exhumés pour une réinhumation solennelle au mémorial érigé sur le lieu de son assassinat à Ouagadougou. Le mausolée Thomas-Sankara a été inauguré en mai 2025, marquant une étape symbolique dans la réhabilitation officielle de sa mémoire. Par ailleurs, le procès de ses assassins, dont Blaise Compaoré condamné à perpétuité en 2022, a permis de faire progresser la justice et la vérité sur sa mort.

Son héritage politique influence toujours les mouvements sociaux, les partis progressistes et les leaders africains contemporains qui revendiquent son exemple pour lutter contre la corruption, défendre la souveraineté nationale et promouvoir l’égalité sociale.

Pourquoi Sankara reste une figure révolutionnaire intemporelle

Thomas Sankara demeure une figure révolutionnaire intemporelle grâce à plusieurs caractéristiques qui transcendent les époques et les frontières.

Intégrité morale exceptionnelle

Dans un contexte africain souvent marqué par la corruption et les dérives autoritaires, Sankara se distingue par une intégrité rare. Il incarne la modestie et la rigueur, refusant les privilèges liés au pouvoir et imposant un train de vie simple à ses ministres. Cette exemplarité morale lui confère une crédibilité et un respect durable auprès des populations.

Actualité de ses idées

Les problématiques qu’il a dénoncées — la dette extérieure, le néocolonialisme, l’exploitation économique, la souveraineté nationale et la justice sociale — restent au cœur des débats africains et mondiaux. Son refus de la dette imposée et sa critique des institutions financières internationales résonnent toujours dans les luttes contemporaines pour la justice économique.

Un modèle de révolution pragmatique et humaniste

Sankara a su allier idéaux marxistes, panafricanisme, féminisme et écologie dans une vision globale du développement. Il a mis en œuvre des réformes concrètes pour améliorer la vie de ses concitoyens, notamment en matière d’éducation, de santé, d’émancipation des femmes et d’autosuffisance alimentaire. Son approche pragmatique, centrée sur le peuple, inspire encore aujourd’hui les mouvements sociaux et politiques.

Le symbole Sankara

Son assassinat prématuré et les circonstances troubles de sa mort ont contribué à forger un mythe puissant. Pour beaucoup, Sankara est devenu un symbole de résistance et d’espoir, une icône qui dépasse sa propre histoire pour incarner la lutte contre l’oppression et pour la dignité africaine. Son souvenir est célébré par des millions de jeunes à travers l’Afrique et la diaspora, qui voient en lui un modèle de leadership authentique et courageux.

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