Origine du panafricanisme
Sans la déportation arbitraire de millions de sujets africains de leurs pays natals sur le continent africain vers le continent américain, pour travailler dans les plantations sous la férule de propriétaires et maîtres blancs, on ne parlerait probablement pas de panafricanisme aujourd’hui. La traite négrière et l’esclavage des Africains sont la source des idées qui constituent dès le début le fondement du panafricanisme. Déportations, migrations, allers et retours… C’est dans le mouvement, forcé, contraint ou volontaire, que le panafricanisme est né.
C’est en communiquant sans cesse par courrier, par télégramme, par téléphone et en ralliant les points du globe à pied, en bateau, en avion que les militants panafricains ont peu à peu brisé les frontières et rapprocher les mondes. De Londres à Monrovia, de Kingston à Accra, de New York à Dar es Salaam, d’Alger à La Havane ou à Rio de Janeiro, l’esprit panafricain a irrigué les Africains, du continent comme de la diaspora. Un réseau s’est formé qui a remporté, par les mots ou par les armes, de belles victoires contre le racisme, le colonialisme et l’apartheid.
C’est quoi le panafricanisme ?
Le panafricanisme est une réponse pour lutter contre les lynchages et défendre les droits civiques des Noirs. Le panafricanisme n’est pas juste un sentiment de solidarité raciale et de revalorisation culturelle de l’Afrique et de la race nègre. Le panafricanisme, c’est surtout un projet politique et géographique, qui vise la libération de l’Afrique du joug colonial.
Le panafricanisme est une doctrine politique, d’un mouvement de libération qui est né en Haïti lors de la révolte des Africains à Saint-Domingue contre le système esclavagiste. Le panafricanisme, c’est la réconciliation de l’Afrique et de sa diaspora dans le cadre respectif de leur émancipation politique, économique, culturelle et sociale. Au tournant de la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, les précurseurs du panafricanisme ont pris conscience que la libération et l’émancipation des diasporas africaines sont intimement liées à la libération et à l’émancipation du continent africain.
Le panafricanisme d’un point de vue identitaire est quelque chose qui revalorise ce que c’est que d’être Africain. Le panafricanisme, c’est l’unité des divers peuples Africains. Le panafricanisme n’est pas contre le métissage, le panafricanisme est contre tout ce qui est en train de nuire à la fierté d’être Africain.
Anthropologiquement, le panafricanisme est l’ensemble des survivances culturelles africaines dans les Amériques. Historiquement, le panafricanisme correspond à l’histoire contemporaine de l’Afrique.
Politiquement, le panafricanisme est de nature anticapitaliste, il est contre le principe de l’exploitation de l’homme par l’homme, et il est également contre le principe de l’exploitation du sol et du sous-sol jusqu’à l’extinction de la capacité de régénération des ressources.
Le panafricanisme demeure un mouvement antiraciste et peu revanchard envers les Européens. Dans une période marquée par l’essor du nazisme et du fascisme, les thèses panafricanistes liées à la race et à la nationalité vont plus dans le sens de la défense des Noirs que de l’attaque des Blancs. À aucun moment l’idée de soumettre l’Europe, ou une autre partie du monde, à l’Afrique n’est exprimée.
En dépit des siècles d’exploitation et de domination coloniale, le sentiment anti-Blancs est demeuré relativement faible, notamment en Afrique où s’opère le passage du panafricanisme racial au panafricanisme continental. Sauf dans le cas très circonstancié de l’Afrique du Sud et des colonies de peuplement (Algérie, Angola, Kenya, Zimbabwe), et même dans ces territoires-là, en dépit de la propagande, les guerres de libération n’ont heureusement pas donné lieu à une extermination des minorités blanches par les Africains. »
Le Panafricanisme est un mouvement né dans les Amériques, mais c’est sous l’impulsion de Kwamé N’Krumah, du Dr Dubois et de Georges Padmore que le centre d’intérêt du panafricanisme s’est déplacé en Afrique.
Panafricanisme et Unité Africaine
A partir de la période des indépendances, quand le panafricanisme revient sur le continent Africain, il se transforme en autre chose qui est différent, qui est l’Unité Africaine. Il s’agit de construire une unité politique entre les Etats Africains.
Ce projet d’Unité Africaine a été porté dans un premier temps par Kwame Nkrumah et ses représentants qui vont sillonner le continent pour rallier les Africains à la cause de l’unité et de l’abandon des frontières coloniales symbolisant des souverainetés artificielles.
Nkrumah plaidait pour la mise en place des Etats-Unis d’Afrique, c’est-à-dire un Etat fédéral continental avec un gouvernement qui chapeauterait les questions de souveraineté que sont la monnaie, la défense, la diplomatie et la culture. Pour Nkrumah, si l’Afrique veut être entendue sur la scène internationale, elle doit parler d’une seule voix, forte et claire.
Ce projet optimiste et ambitieux fera rêver des générations d’Africains, mais ne verra pas le jour. Car il se heurte à des réalités bien concrètes à la fin des années 1950.
Julius Nyerere soutient cependant une unification graduelle, et non immédiate comme le demande le leader ghanéen, à partir des cinq grandes régions du continent. Pour Nkrumah, les fédérations régionales sont déjà des formes de balkanisation à grande échelle qui doivent disparaître au plus tôt. Pour Julius Nyerere, à l’inverse, une fédération régionale est un premier pas vers une union continentale : si chaque région du continent réalise son unité, cela réduira d’autant le nombre de parties à réunir pour parachever l’unification du continent.
Plus tard Cheikh Anta Diop, dans son œuvre, les fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique noire, rejoindra Kwame Nkrumah sur le fait que l’unité du continent est la condition sine qua non pour faire basculer l’Afrique sur la pente du développement.
« Sankara se montre particulièrement attaché à l’idéal panafricain, comme il l’explique au romancier et militant camerounais Mongo Beti : le panafricanisme, dans sa conception pure, a été un grand espoir, non seulement pour les Africains, mais pour les Noirs de la diaspora. […] C’est une question très sérieuse pour les Africains, s’ils veulent véritablement s’affranchir de toute domination étrangère. Tout le monde constate aujourd’hui avec amertume, face aux méfaits et autres exactions de l’impérialisme en Afrique, que Nkrumah avait très bien raison d’appeler de tous ses vœux à l’unité du continent. […] Il appartient aux patriotes africains de lutter partout et toujours pour sa concrétisation. Il appartient à tous les peuples panafricanistes de reprendre le flambeau de Nkrumah pour donner espoir à l’Afrique. »
Où en est le panafricanisme aujourd’hui ?
Malgré la fin de l’apartheid, la réalisation d’une organisation politique intégrée de tous les peuples d’Afrique est encore loin. Le panafricanisme peine à suivre à la chute de Nkrumah en 1966. Il bascule en Afrique de l’Est avec Julius Nyerere, puis retraverse l’Atlantique pour se ressourcer dans la diaspora : Martin Luther King, Malcom X, le mouvement des Black Panthers, le reggae de Bob Marley, le quilombisme au Brésil, jusqu’à la chute finale de l’Apartheid avec Mandela, à l’activisme panafricain du Guide Lybien Kadhafi, etc.
L’Union Africaine, ce n’est pas du panafricanisme
L’Union Africaine (UA) aujourd’hui, comme l’Organisation de l’unité africaine (OUA) hier, et les dirigeants qu’elle représente demeurent bien éloignés des préoccupations populaires. La chute des régimes colonialistes n’a pas mis fin à la domination et à la xénophobie, plus que jamais vivaces, y compris à l’intérieur de l’Afrique. Les indépendances nationales, souvent partielles, souvent mutilées, n’ont pas permis de concrétiser le rêve panafricain. La répression et la pauvreté empêchent son éclosion.
Le véritable panafricanisme à faire émerger aujourd’hui est éminemment politique et populaire. Il faut repolitiser les masses. Il faut avoir des projets qui dépassent le micronationalisme et qui permettent à l’Afrique de proposer un front uni par rapport à ceux qui sont en face et qui eux sont unis pour piller le continent. Il est extrêmement urgent de mettre en place une réponse collective.
Le panafricanisme est-il une idéologie ?
Le panafricanisme est un mouvement de libération et non une idéologie. Et la Libération requiert forcément l’unité dans la diversité. On n’est pas dans un mouvement totalitariste. On n’est pas dans un mouvement uniformisant. Et c’est bien pour ça que le panafricanisme a produit en substrat beaucoup de contre-culture, d’anticonformisme. La négritude, le Rastafari, tout ça c’est de l’anticonformisme. C’est pour ça que la question de l’idéologie peut poser problème parce que l’idéologie c’est justement comment on fixe les choses, comment on fait rentrer des carrés dans des triangles alors que le panafricanisme, c’est pas vraiment ça. Il y a cette dimension de liberté qui est présente.
L’élément central dans le panafricanisme, c’est la solidarité.
C’est la solidarité qui peut permettre de dépasser le fait qu’on n’a pas tout à fait la même vision mais on est solidaire les uns des autres. J’adhère pas forcément totalement au projet de mon voisin, de ma sœur, de mon frère, etc…, mais parce que c’est quelqu’un en qui je me reconnais, en qui je reconnais une part de mon humanité, je vais être solidaire avec lui et je vais l’accompagner pour qu’il arrive à réussir, donc la question de l’Ubuntu. La solidarité est donc essentielle et si on ne la met pas au centre du jeu, c’est très compliqué.
Toutefois, la solidarité est confrontée à un système, qui est le produit de la traite. La solidarité est confrontée au système capitaliste, qui favorise l’individualisme et la désolidarisation. Et c’est dans cette désolidarisation, qu’on rentre dans le “chacun pour soi”.
On a besoin d’atteindre un certain degré d’unité, pas que tout le monde soit uni. C’est Cabral qui le disait, il faut pas que tout le monde soit uni parce que si tout le monde est uni et pense la même chose, c’est du totalitarisme. On est pas dans un modèle chinois où il faudrait un dictateur qui impose à tous les Africains de penser la même chose. Le panafricanisme, ce n’est pas ça. Donc la notion de liberté est essentielle. Mais pour qu’elle fonctionne, il faut que les individus, en tout cas nous, qui avons été individualisés, cultivons nos éléments de solidarité.
Et dans les éléments de solidarité, il y a la question de la corruption, il y a la question de la traite, qui fait que en tant que noir ou afro descendant, on est issu d’une histoire qui nous a appris qu’une personne noire est une personne que l’on peut vendre, une personne que l’on peut acheter, que l’on peut corrompre. Il faut donc trouver des projets fédérateurs avec la solidarité. L’unité, c’est vraiment des projets fédérateurs.
Le point clé de la solidarité, c’est le refus de céder à la division.
L’enjeu est d’identifier précisément nos luttes. Si on est sur la question économique, l’enjeu n’est pas de savoir s’il faut un modèle social libéral, etc…, mais plutôt de voir qu’est-ce que nous voulons construire, pas qu’est-ce que nous voulons copier, mais qu’est-ce que nous voulons construire.
Références :
– Extrait de la Conférence Thinking Africa du 29.11.2014 à Paris
– Extrait de: Amzat Boukari-Yabara. « Africa Unite ! »
– Extrait de la Thèse de Amadou Lamine Ndiaye, Les idées politiques de Julius Nyerere : un projet panafricaniste revisité