Tout savoir sur les Ultrasons : fonctionnement, usages et limites

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Invisibles à l’œil nu et inaudibles à l’oreille humaine, les ultrasons façonnent pourtant notre monde moderne de manière décisive. Des maternités aux usines industrielles, cette technologie sonore aux fréquences élevées s’est imposée comme un outil indispensable dans de nombreux secteurs. Exploration d’un phénomène physique devenu incontournable.

Une définition accessible d’un phénomène complexe

Les ultrasons sont des ondes sonores dont la fréquence dépasse 20 000 Hz (ou 20 kHz), soit la limite supérieure de l’audition humaine. “Ces ondes mécaniques se propagent dans les milieux matériels en créant des zones successives de compression et de dilatation de la matière”, explique le Dr. Marie Lambert, physicienne au Commissariat à l’énergie atomique (CEA).

À titre de comparaison, une conversation normale se situe entre 300 et 3 000 Hz, tandis que certains dispositifs industriels utilisant les ultrasons peuvent atteindre plusieurs mégahertz (millions de hertz). Cette caractéristique distinctive – être au-delà de notre perception – n’empêche pas les ultrasons d’interagir significativement avec leur environnement, créant ainsi leur potentiel d’applications remarquable.

De la nature au laboratoire : une histoire d’adaptation

La première utilisation documentée des ultrasons remonte à la Première Guerre mondiale, avec le développement des sonars pour détecter les sous-marins. Toutefois, la nature avait déjà “inventé” ce système bien avant : les chauves-souris utilisent l’écholocation ultrasonore depuis des millions d’années pour naviguer et chasser.

“La biomimétique a joué un rôle crucial dans le perfectionnement des technologies ultrasonores”, souligne Jean Dupont, historien des sciences à l’Université de Lyon. “En observant comment certains animaux utilisent naturellement les ultrasons, les scientifiques ont pu améliorer leurs propres applications.”

C’est dans les années 1950 que les ultrasons font leur entrée en médecine avec les premières échographies rudimentaires, avant de connaître une accélération technologique dans les années 1970-1980, période durant laquelle les applications se multiplient dans l’industrie, notamment pour le contrôle non destructif des matériaux.

La révolution médicale silencieuse

L’application la plus connue des ultrasons reste l’échographie, devenue un examen de routine pour le suivi de grossesse. “Cette technologie a révolutionné l’obstétrique en permettant de visualiser le fœtus sans radiation ionisante, contrairement aux rayons X”, indique le Professeur Sophie Marchand, chef du service d’imagerie à l’Hôpital Necker à Paris.

Mais les applications médicales vont bien au-delà. L’élastographie, technique dérivée de l’échographie, permet d’évaluer l’élasticité des tissus et ainsi de détecter certaines tumeurs. Les ultrasons focalisés de haute intensité (HIFU) constituent quant à eux une approche thérapeutique prometteuse pour traiter certains cancers sans chirurgie invasive.

“En 2024, nous avons franchi un cap important avec l’approbation de plusieurs traitements par ultrasons du cerveau pour les troubles neurologiques réfractaires”, précise le Dr. Thomas Klein, neurologue et chercheur à l’Inserm. Cette technique permet de cibler avec précision des zones profondes du cerveau sans ouvrir la boîte crânienne.

L’industrie à l’écoute des hautes fréquences

Le secteur industriel s’est également approprié cette technologie avec enthousiasme. Dans l’aéronautique et l’automobile, les ultrasons servent au contrôle non destructif, permettant de détecter les défauts ou fissures invisibles dans les matériaux sans les endommager.

“Pour un constructeur aéronautique, cette technique est cruciale car elle garantit l’intégrité structurelle des composants critiques comme les ailes ou les moteurs”, explique Vincent Mercier, ingénieur qualité chez Safran. D’après un rapport de Markets and Markets, ce seul segment représente un marché de 3,7 milliards d’euros en 2025.

Le nettoyage par ultrasons s’est aussi imposé dans de nombreux secteurs industriels et médicaux. En générant des micro-bulles de cavitation qui implosent au contact des surfaces, cette technique élimine efficacement les contaminants dans les zones difficiles d’accès, notamment pour les instruments médicaux ou les pièces électroniques de précision.

La puissance des ultrasons en découpe et soudure

L’utilisation des ultrasons pour la découpe et la soudure représente aujourd’hui l’un des segments les plus dynamiques du marché. “Cette technologie a transformé nos chaînes de production en permettant des assemblages parfaits sans adhésifs ni autres agents chimiques”, note Elise Durand, directrice industrielle chez un grand équipementier automobile européen.

La découpe ultrasonique fonctionne grâce à des lames vibrant à haute fréquence (entre 20 et 40 kHz). Cette méthode excelle particulièrement dans le traitement des matériaux sensibles ou complexes. “Pour l’industrie agroalimentaire, c’est une révolution : nous pouvons découper des produits fragiles comme des pâtisseries ou des fromages avec une précision millimétrique, sans déformation ni contamination”, précise Laurent Martin, responsable innovation chez Danone.

Quant à la soudure par ultrasons, elle s’impose comme une alternative écologique aux méthodes traditionnelles. Le principe repose sur la création de liaisons moléculaires entre deux matériaux sous l’effet combiné de vibrations ultrasonores et d’une pression contrôlée. “Contrairement aux techniques conventionnelles, nous n’utilisons ni colle, ni solvant, ni apport thermique externe, ce qui réduit considérablement notre empreinte environnementale”, souligne Marc Weber, directeur technique chez Herrmann Ultrasonics, l’un des leaders mondiaux du secteur.

Cette technique permet notamment d’assembler des plastiques médicaux, des composants électroniques ou encore des emballages alimentaires en quelques secondes seulement. Selon une étude de GlobalData, le marché des équipements de soudure ultrasonique devrait connaître une croissance annuelle de 8,5% jusqu’en 2028, porté notamment par les industries électronique et médicale.

Un marché en pleine expansion

Selon les dernières analyses de Frost & Sullivan, le marché mondial des technologies ultrasonores devrait atteindre 11,5 milliards d’euros d’ici 2028, avec une croissance annuelle moyenne de 6,8%. “Cette croissance est principalement tirée par les innovations dans le domaine médical et l’adoption croissante des ultrasons dans les économies émergentes”, analyse Sarah Johnson, analyste financière spécialisée dans les technologies médicales.

Les trois géants du secteur – GE Healthcare, Philips et Siemens Healthineers – continuent de dominer le marché avec près de 70% des parts mondiales. Cependant, des startups innovantes comme Butterfly Network, avec son échographe portable connecté à un smartphone, ou Theraclion, spécialisée dans les traitements non invasifs par ultrasons focalisés, bousculent progressivement cet oligopole.

Dans le segment industriel de la découpe et de la soudure, Dukane, Branson (groupe Emerson) et Telsonic figurent parmi les acteurs majeurs qui investissent massivement en R&D pour développer des solutions toujours plus précises et économes en énergie.

La frontière de l’innovation

La recherche sur les ultrasons continue d’ouvrir de nouvelles perspectives fascinantes. L’une des plus prometteuses concerne la barrière hémato-encéphalique, cette protection naturelle du cerveau qui limite l’accès des médicaments. “Des études cliniques montrent que les ultrasons peuvent ouvrir temporairement cette barrière de façon ciblée, permettant aux médicaments d’atteindre des zones spécifiques du cerveau”, décrit la Professeure Élise Martin de l’Institut du Cerveau à Paris.

Dans un domaine complètement différent, les chercheurs du MIT ont récemment développé des capteurs ultrasonores sans batterie, fonctionnant grâce à l’énergie vibratoire ambiante. “Ces dispositifs pourraient révolutionner l’Internet des Objets en permettant de déployer des capteurs autonomes dans des environnements hostiles ou difficiles d’accès”, selon leur étude publiée en septembre 2024.

Dans le secteur industriel, les innovations portent sur des systèmes de découpe et soudure “intelligents”, capables d’ajuster automatiquement leurs paramètres en fonction des matériaux traités. “L’intégration de l’IA dans les équipements ultrasonores représente la prochaine révolution du secteur”, affirme Johannes Schmidt, directeur innovation chez Branson Ultrasonics.

Questions environnementales et sanitaires

Si les ultrasons sont généralement considérés comme une technologie propre et sûre, des questions subsistent concernant certaines applications. Dans le milieu marin, les sonars militaires à haute puissance sont accusés de perturber les cétacés, dont la communication et l’orientation dépendent des signaux acoustiques.

De même, l’exposition prolongée à certaines fréquences ultrasonores dans l’environnement professionnel soulève des interrogations. L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a récemment recommandé “la mise en place de normes plus strictes concernant l’exposition professionnelle aux ultrasons industriels de haute intensité”, rappelant que si ces ondes sont inaudibles, leurs effets physiques ne sont pas négligeables.

Une technologie d’avenir

Malgré ces questionnements, l’avenir des ultrasons s’annonce prometteur. L’émergence de l’intelligence artificielle appliquée à l’imagerie ultrasonore devrait permettre des diagnostics plus précis et accessibles. Parallèlement, la miniaturisation continue des appareils pourrait démocratiser cette technologie dans les régions les moins équipées médicalement.

Pour les applications industrielles de découpe et soudure, la tendance est à l’intégration dans des lignes de production entièrement automatisées. “Les procédés ultrasoniques s’intègrent parfaitement dans l’industrie 4.0 grâce à leur précision, leur rapidité et leur faible consommation énergétique”, note Philippe Dubois, consultant spécialisé en technologies industrielles.

“Les ultrasons représentent un cas d’école de technologie mature qui continue pourtant à se réinventer”, conclut le Professeur Marchand. “Leur caractère non invasif, relativement peu coûteux et adaptable en fait une solution privilégiée pour répondre à de nombreux défis contemporains, de la santé à l’industrie 4.0.”

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