On a trop souvent vu la culture uniquement sous son aspect “identitaire” : ce qui nous permet d’être, ce que nous sommes, et de rentrer en interaction avec les autres. Tout en minimisant, ou simplement parce qu’on n’a pas compris, le potentiel économique qu’il y a derrière. Ici, il sera question de voir justement comment tirer profit des ressources culturelles africaines pour produire de la richesse économique.
La culture c’est l’expression de la créativité humaine. La culture est liée au signifiant, à la connaissance, aux talents, à l’industrie, à la civilisation et aux valeurs. L’Afrique est riche de sa diversité culturelle, de son patrimoine, de ses valeurs, de ses hommes et femmes.
Les pays africains regorgent d’innombrables talents qui peinent à développer leur plein potentiel faute de manque de moyens adéquats. Mais même dans des conditions modestes, les talents arrivent à émerger. Ce sont des artistes, des créatifs, ils ont une inventivité débordante, ils font rayonner la culture africaine à travers leurs œuvres, leurs créations et productions.
La culture nous permet aussi de nous repositionner sur la scène internationale en tant qu’acteur important, qui vient avec quelque chose, qui est notre passé, nos biens culturels, nos valeurs culturelles. La culture n’est pas que folklorique. La culture aussi c’est économique. La culture nourrit son homme. Ça crée des opportunités.
Capitaliser sur la culture africaine pour créer de la richesse économique
Les industries culturelles et créatives (ICC) africaines connaissent aujourd’hui un véritable boom, s’imposant comme des piliers économiques majeurs à l’échelle locale et mondiale. Parmi ces secteurs, le cinéma, la musique, la mode et l’art contemporain sont particulièrement dynamiques.
Selon la Banque mondiale, les industries culturelles représentent environ 3 à 5 % du PIB dans plusieurs pays africains, avec un potentiel de croissance estimé à plus de 10 % dans les prochaines années. Les plateformes numériques, telles que Boomplay ou Mdundo, facilitent la diffusion et la monétisation des contenus culturels, ouvrant de nouvelles perspectives économiques.
Cinéma
Le cinéma africain, avec Nollywood en tête, est un autre secteur en pleine croissance. Avec plus de 2 500 films produits chaque année, Nollywood est la deuxième plus grande industrie cinématographique au monde en termes de volume, générant des milliers d’emplois et des revenus considérables. Des plateformes de streaming comme Netflix ou Showmax investissent de plus en plus dans les productions africaines, contribuant à leur diffusion et à leur valorisation à l’échelle mondiale.
Musique
Dans le domaine musical, l’Afrique impose ses rythmes sur la scène mondiale. L’afrobeats, le coupé-décalé, l’amapiano et d’autres genres africains s’immiscent dans les charts internationaux, attirant des millions d’auditeurs. Des artistes comme Burna Boy, Femi Kuti, Sona Jobarteh ou encore des Dj comme Black Coffee symbolisent cette conquête culturelle et économique. La musique africaine génère des revenus importants via les concerts, les ventes, le streaming et les partenariats internationaux. Outre les genres déjà bien établis comme l’afrobeats et le coupé-décalé, l’Amapiano, né dans les townships sud-africains, a conquis les dancefloors du monde entier. Ce style musical, qui mélange des éléments de house, de jazz et de kwaito, est devenu un véritable phénomène culturel, propulsant des artistes comme Kabza De Small, DJ Maphorisa et Sha Sha sur la scène internationale. L’Amapiano témoigne de la capacité de l’Afrique à créer des sons originaux et innovants, qui séduisent un public de plus en plus large.
Arts et artisanat
Les arts et l’artisanat africains sont au cœur de cette richesse culturelle. Des textiles traditionnels comme le Kanvô du Bénin, aux bijoux en perles des peuples Massaï, en passant par les sculptures en bois ou en bronze du Bénin, chaque objet raconte une histoire, porte une symbolique et témoigne d’un savoir-faire transmis de génération en génération.
L’Afrique dispose d’une richesse textile exceptionnelle, avec des tissus traditionnels variés qui constituent un véritable patrimoine culturel et un potentiel économique important à l’export. Parmi les étoffes les plus emblématiques, on trouve le kente du Ghana, un tissu en coton ou en soie tissé à la main, célèbre pour ses couleurs vives et ses motifs symboliques. Le Faso Dan Fani, coton biologique tissé au Burkina Faso, est reconnu pour sa texture authentique et son processus artisanal. Le raphia, provenant du Cameroun et de Madagascar, est apprécié pour ses qualités naturelles et esthétiques. Le bogolan malien, tissu de coton teint à la boue selon une technique ancestrale, se distingue par ses motifs uniques et son aspect terreux. Ces tissus traditionnels s’associent parfois à des étoffes nobles de la haute couture européenne, telles que la soie, le lin ou le chanvre, pour créer des pièces contemporaines.
La mode africaine connaît également une montée spectaculaire. Des marques afrocentrées telles que Maison Château Rouge (France/Sénégal), Tongoro (Sénégal) ou Imane Ayissi (Cameroun) s’imposent sur les podiums internationaux, mêlant tradition et modernité. Elles valorisent les tissus, motifs et savoir-faire locaux tout en créant des emplois et en développant l’exportation.
La maroquinerie africaine s’exporte également à l’international, profitant d’une demande croissante pour des produits en cuir de qualité, alliant savoir-faire artisanal et design contemporain. Ce secteur contribue à valoriser le patrimoine artisanal du continent tout en ouvrant de nouveaux débouchés économiques sur les marchés mondiaux.
Les artisans africains travaillent des matériaux locaux tels que l’or, les diamants, le bronze, le laiton, ainsi que des perles en verre ou en bronze, pour créer des bijoux qui portent une forte symbolique culturelle et spirituelle. Ces pièces, qu’il s’agisse de colliers, bracelets, bagues ou boucles d’oreilles, racontent souvent des histoires liées à l’identité, aux rites ou aux valeurs des différentes communautés africaines. Aujourd’hui, de nombreuses marques africaines de joaillerie de luxe émergent, comme AC By AC en Afrique du Sud, qui utilise or et diamants pour des créations raffinées, ou Karidja & Khadija en Côte d’Ivoire, connues pour leurs bijoux faits main inspirés par la nature et la féminité. D’autres acteurs, tels que Kawira Africa au Kenya, mêlent savoir-faire traditionnel et design moderne pour séduire une clientèle internationale.
L’art contemporain africain gagne en reconnaissance sur le marché international, avec des artistes comme El Anatsui, Yinka Shonibare ou Wangechi Mutu qui voient leurs œuvres exposées dans les plus grands musées et vendues à des prix record. Ce marché contribue à la valorisation économique et symbolique du continent.
Tourisme culturel
Le continent africain est une destination de choix pour les amateurs de tourisme culturel. Ses nombreux sites historiques, ses traditions vivantes et ses festivals colorés attirent chaque année des visiteurs du monde entier. Des événements emblématiques comme le Festival sur le Niger au Mali ou encore le Festival Mawazine au Maroc célèbrent la diversité culturelle africaine et offrent une vitrine internationale aux artistes locaux.
Le développement du tourisme culturel permet non seulement de générer des revenus importants mais aussi de créer des emplois dans les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration et des services. Il favorise également la préservation des patrimoines immatériels et encourage les échanges interculturels.
Industrie de l’événementiel
Les festivals et événements culturels jouent un rôle clé dans la promotion de la culture africaine. Ils rassemblent des milliers de participants, locaux et internationaux, autour de la musique, de la danse, du théâtre ou des arts visuels. Le Festival International de Jazz de Cape Town, l’Afrochella au Ghana, le Festival de Musique Urbaine d’Anoumabo en Côte d’Ivoire ou encore le Festival de Canneseries à Marrakech sont autant d’exemples qui montrent l’ampleur et la diversité de cette industrie.
Gastronomie africaine
La gastronomie africaine est un véritable kaléidoscope de saveurs, de techniques culinaires et d’ingrédients uniques, reflétant la diversité culturelle et géographique du continent. Des plats emblématiques comme le jollof rice en Afrique de l’Ouest, le couscous en Afrique du Nord, le bobotie en Afrique du Sud ou encore le mafé au Sénégal témoignent d’une tradition culinaire riche, souvent liée à des rituels, des fêtes ou des moments de partage.
Au-delà des plats, ce sont aussi des ingrédients typiquement africains qui gagnent en reconnaissance sur la scène mondiale. Le fonio, une céréale ancienne aux qualités nutritionnelles exceptionnelles, est de plus en plus valorisé dans les circuits bio et santé. Le baobab, riche en vitamines et antioxydants, est utilisé dans des compléments alimentaires, boissons et cosmétiques. Le bissap (infusion d’hibiscus), le gingembre, le moringa ou encore le manioc sont également des produits phares qui séduisent les marchés internationaux grâce à leurs bienfaits nutritionnels et leur authenticité.
Littérature
La littérature africaine contemporaine connaît un essor remarquable avec des auteurs comme Chimamanda Ngozi Adichie, Chinua Achebe, Alain Mabanckou, Mariama Bâ, Mohamed Mbougar Sarr, Djaïli Amadou Amal, dont les récits puissants et engagés font entendre la voix du continent à l’échelle mondiale.
L’importance de structurer et financer les filières culturelles
Malgré l’essor prometteur des industries culturelles africaines, de nombreux obstacles freinent encore leur plein développement. L’un des principaux défis réside dans le manque d’infrastructures adaptées : studios de production, salles de spectacle, centres de formation, espaces d’exposition, etc. Ces infrastructures sont indispensables pour professionnaliser les métiers de la culture et permettre aux artistes et entrepreneurs de travailler dans des conditions optimales.
Par ailleurs, le financement reste un enjeu majeur. Dans beaucoup de pays africains, les investissements publics dans la culture sont insuffisants, et le secteur peine à attirer des financements privés ou internationaux. Cette situation limite la capacité des acteurs culturels à développer leurs projets, à innover et à exporter leurs créations.
La protection des droits d’auteur est également un point crucial. Sans un cadre juridique solide et une application effective, les créateurs ne peuvent pas bénéficier pleinement des retombées économiques de leurs œuvres, ce qui décourage l’investissement et la créativité.
Pour répondre à ces défis, il est urgent de mettre en place des politiques culturelles ambitieuses, qui intègrent la culture comme un levier de développement économique et social. Cela passe par la création d’écoles spécialisées, de studios professionnels, de festivals et d’événements culturels qui valorisent les talents locaux et favorisent les échanges.
Un autre aspect essentiel est le renforcement des partenariats intra-africains. En facilitant la circulation des contenus culturels à l’intérieur du continent, on crée un marché panafricain dynamique, capable de soutenir les industries culturelles et de renforcer la cohésion culturelle. Ces échanges contribuent à la diversité et à la richesse du patrimoine africain, tout en augmentant les opportunités économiques.
Les clés pour transformer la culture en richesse
Pour que la culture devienne une source de richesse durable pour l’Afrique, il est essentiel d’agir sur plusieurs fronts.
Tout d’abord, il est impératif d’assurer la souveraineté numérique du continent. Cela signifie développer des plateformes africaines de diffusion de contenus (streaming, réseaux sociaux, médias en ligne) pour maîtriser la distribution et la monétisation des créations culturelles. Ces plateformes doivent être adaptées aux réalités locales, accessibles à tous et capables de rivaliser avec les géants internationaux.
La valorisation des langues africaines est un autre enjeu crucial. En produisant des contenus culturels dans les langues locales, on renforce l’identité culturelle, on touche un public plus large et on crée des opportunités économiques. Les langues africaines sont un vecteur de créativité et d’innovation, et leur promotion est essentielle pour le développement des industries culturelles.
L’entrepreneuriat culturel doit être encouragé et soutenu. Il est essentiel d’aider les jeunes africains à créer des marques culturelles, des studios, des applications innovantes et des entreprises créatives. Cela passe par la mise en place de programmes de formation, d’incubateurs, de fonds d’investissement et de politiques publiques favorables à l’entrepreneuriat culturel.
Enfin, l’éducation joue un rôle fondamental. Il est crucial d’intégrer la culture dans les programmes scolaires, de la maternelle à l’université, pour sensibiliser les jeunes à leur patrimoine, développer leur créativité et former une nouvelle génération de créateurs conscients de leur héritage et capables de structurer leurs activités dans un cadre professionnel.
Conclusion
La culture africaine est bien plus qu’un simple héritage à protéger : elle constitue un capital économique stratégique, un levier de développement et un moteur d’émancipation. En investissant dans ce secteur, les États africains ont l’opportunité de créer des emplois, de bâtir des récits positifs et puissants, et de renforcer un soft power continental capable de repositionner le continent dans l’imaginaire mondial.
En transformant la culture en richesse durable, l’Afrique pourra non seulement renforcer son influence dans le monde, mais aussi offrir à sa jeunesse des perspectives d’avenir riches, créatives et porteuses d’espoir.