État des lieux des universités africaines en 2025

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Des millions d’étudiants chaque année franchissent les portes des universités africaines, le cœur plein d’espoir et la tête remplie de rêves. Entre infrastructures vétustes, formations inadaptées et chômage endémique des diplômés, l’enseignement supérieur africain traverse une crise profonde dont les conséquences se répercutent sur des générations entières.

J’ai obtenu ma maîtrise en économie avec mention il y a quatre ans. Aujourd’hui, je conduis un taxi-moto pour survivre, confie Moussa Diabaté, 29 ans, diplômé de l’Université de Ouagadougou.

Son histoire résonne comme celle de millions de jeunes Africains confrontés à la dure réalité post-universitaire.

Un lourd déficit d’infrastructures

La crise des universités africaines se manifeste d’abord par l’état catastrophique de leurs infrastructures. Un rapport accablant de l’Association des Universités Africaines, publié en janvier 2024, dresse un constat sans appel : 76% des établissements publics du continent fonctionnent avec des infrastructures obsolètes, parfois héritées de l’époque coloniale et rarement rénovées depuis.

À l’Université de Makerere en Ouganda, institution pourtant centenaire et prestigieuse, des bâtiments entiers ont été condamnés pour risque d’effondrement. À l’Université d’Ibadan au Nigeria, les coupures d’électricité paralysent régulièrement les activités académiques pendant plusieurs jours consécutifs. À l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, certains laboratoires n’ont pas été rénovés depuis les années 1980.

Nos laboratoires sont des musées d’équipements obsolètes, déplore Dr. Jean-Pierre Makosso, professeur de chimie à l’Université de Brazzaville. Certains appareils que nous utilisons pour la formation de nos étudiants datent des années 1970. Comment prétendre former des scientifiques compétitifs avec de tels handicaps?

“Nos étudiants sont censés concourir sur le marché mondial du travail, mais ils étudient dans des conditions dignes du siècle dernier”, déplore Professeur Nadia El-Kholy de l’Université du Caire.

Selon un audit réalisé par l’Association des Universités Africaines en 2022, 68% des bibliothèques universitaires du continent disposent de collections datant de plus de 15 ans. Quant à l’accès à Internet à haut débit, il reste un luxe dans 72% des campus publics africains.

À l’ère des MOOCs et des bibliothèques virtuelles, nos étudiants n’ont souvent même pas accès à un WiFi fonctionnel, souligne Professeur Nadia El-Kholy de l’Université du Caire. Cette fracture numérique compromet irrémédiablement leur compétitivité académique et professionnelle.

La pandémie de COVID-19 a cruellement mis en lumière cette carence. Alors que les universités du Nord pivotaient en quelques semaines vers l’enseignement à distance, la plupart des établissements africains ont simplement dû suspendre leurs activités, incapables de proposer des alternatives numériques viables.

Des campus surpeuplés, sous-équipés

L’explosion démographique estudiantine, conjuguée à la stagnation des investissements, a conduit à une surpopulation critique des campus. À l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, conçue pour 15 000 étudiants dans les années 1960, on en compte aujourd’hui plus de 80 000.

Cette surpopulation affecte directement la qualité de l’enseignement.

Dans mon cours de droit constitutionnel, j’ai 1700 étudiants. Il est matériellement impossible d’assurer un suivi pédagogique dans ces conditions, confie Maître Abdoulaye Diop, enseignant à la faculté de droit de Dakar. Nous sommes de facto revenus à un enseignement de type médiéval, où le professeur parle et les étudiants écoutent, sans véritable interaction.

Les travaux dirigés, essentiels à l’appropriation des connaissances, sont souvent sacrifiés faute d’encadrement suffisant. À l’Université de Lomé, le ratio enseignant/étudiants en sciences économiques atteint 1 pour 115, rendant illusoire tout travail en petits groupes.

Un sous-financement chronique aux multiples causes

Le déficit d’investissement dans les universités africaines s’explique par plusieurs facteurs interdépendants:

Des arbitrages budgétaires défavorables

Dans de nombreux pays africains, l’enseignement supérieur est le parent pauvre des budgets éducatifs. En moyenne, seuls 18% des budgets consacrés à l’éducation vont à l’enseignement supérieur, contre plus de 30% dans les pays émergents d’Asie.

Les gouvernements, souvent sous pression des bailleurs de fonds internationaux, privilégient l’éducation primaire aux dépens du supérieur, explique Professeur Mamadou Diouf, historien sénégalais. Cette dichotomie est fallacieuse : un système éducatif performant nécessite des investissements équilibrés à tous les niveaux.

Cette situation est aggravée par le poids écrasant des dépenses de fonctionnement. À l’Université de Kinshasa, 92% du budget est absorbé par les salaires, ne laissant que des miettes pour l’investissement en infrastructures et équipements.

L’impact des programmes d’ajustement structurel

Les années 1980-1990, marquées par les programmes d’ajustement structurel imposés par le FMI et la Banque mondiale, ont durablement affecté les universités africaines. Les coupes drastiques dans les budgets publics ont entraîné un sous-investissement chronique dont les effets se font encore sentir aujourd’hui.

La dépendance aux financements extérieurs

Face au désengagement des États, les universités africaines dépendent massivement de financements extérieurs pour leurs infrastructures. Selon une étude de la Banque Africaine de Développement, près de 65% des investissements significatifs dans les universités publiques africaines proviennent de bailleurs internationaux.

Cette dépendance crée des distorsions importantes.

Les bailleurs financent principalement des projets visibles à court terme, pas des transformations structurelles, observe le Dr. Fatou Sarr, sociologue. On construit un bâtiment moderne isolé dans un campus délabré, sans penser à la maintenance à long terme.

Une inadéquation avec le marché du travail

De nombreux programmes universitaires continuent de former des diplômés dans des filières classiques (droit, lettres, sociologie) alors que les économies africaines ont un besoin croissant d’ingénieurs, de techniciens, d’informaticiens et de professionnels dans les énergies renouvelables, l’agriculture moderne ou la santé.

Une enquête menée auprès des employeurs dans huit pays africains révèle que 78% d’entre eux considèrent que les diplômés locaux ne possèdent pas les compétences pratiques nécessaires à leur intégration professionnelle immédiate.

Un héritage colonial persistant

Pour comprendre la crise actuelle, un retour historique s’impose. La plupart des universités africaines ont été fondées dans les années 1960-1970, sur le modèle des institutions métropolitaines des anciennes puissances coloniales. Elles avaient pour mission première de former les élites administratives des jeunes nations indépendantes.

Nos universités restent prisonnières d’un modèle importé qui n’a jamais vraiment été adapté aux réalités socio-économiques africaines, analyse le Professeur Joseph Mbarga de l’Université de Yaoundé. Soixante ans après les indépendances, nous formons toujours massivement des fonctionnaires alors que les administrations publiques sont saturées.

Cette inadéquation se traduit par des cursus déconnectés des besoins réels du marché. À titre d’exemple, l’Université de Kinshasa continue de former près de 2000 juristes chaque année, quand le secteur privé congolais recherche désespérément des ingénieurs en mines, en agronomie ou en technologies numériques.

Une recherche universitaire à l’arrêt

Plus préoccupant encore, le sous-investissement paralyse la recherche universitaire africaine. Dans de nombreux établissements, les budgets de recherche sont quasi inexistants. À l’Université de Kinshasa, ce budget représente moins de 0,5% des dépenses totales.

Les conséquences sont mesurables: l’Afrique ne produit que 1,3% des publications scientifiques mondiales, malgré ses 17% de la population mondiale. Dans certaines disciplines cruciales pour le développement du continent comme l’agronomie ou l’ingénierie, la contribution africaine est encore plus marginale.

Sans laboratoires équipés, sans accès aux bases de données internationales, sans fonds pour financer les travaux de terrain, la recherche devient un luxe inaccessible, témoigne Dr. Alice Nkulu, biologiste congolaise. Beaucoup d’entre nous font de la ‘recherche de bureau’, coupée des réalités empiriques.

La fuite des cerveaux

Chaque année, des milliers d’étudiants africains partent étudier à l’étranger (France, Canada, États-Unis, Maroc, etc.) et beaucoup ne reviennent pas. Cela aggrave la pénurie de talents qualifiés sur le continent.

Des modèles de financement à réinventer

Pour sortir du cycle de sous-investissement chronique, plusieurs pistes de financement alternatif sont explorées:

La fiscalité dédiée

Le Rwanda a instauré en 2018 une taxe spécifique de 1% sur les bénéfices des grandes entreprises, exclusivement dédiée aux infrastructures universitaires. Cette mesure a permis de générer plus de 30 millions de dollars en quatre ans, finançant notamment la modernisation des laboratoires scientifiques de l’Université de Kigali.

Les réseaux d’excellence régionaux

Au-delà de l’État et des institutions internationales, des efforts privés et régionaux essaient de changer la donne. Ainsi, des initiatives comme l’African Leadership University (ALU) se sont fixées pour mission de créer de nouveaux campus appliquant des méthodes pédagogiques centrées sur l’employabilité.

Un nécessaire réengagement des États

Malgré ces initiatives prometteuses, experts et universitaires s’accordent sur la nécessité d’un réengagement massif des États.

Certains pays montrent la voie. Le Botswana consacre désormais 2,8% de son PIB à l’enseignement supérieur et à la recherche, avec un plan décennal de modernisation des infrastructures universitaires. L’Afrique du Sud a lancé en 2021 un programme de 5 milliards de dollars sur cinq ans pour rénover l’ensemble de ses campus universitaires.

“Ces initiatives démontrent qu’un autre modèle est possible”, affirme Dr. Mamouda Toure, consultant auprès de l’UNESCO. “Investir dans les infrastructures universitaires n’est pas une dépense mais un placement à haut rendement pour l’avenir économique du continent.”

Une réforme profonde s’impose

Pour que les universités africaines puissent être au service du développement du continent, une transformation profonde de leur modèle de financement et de gouvernance s’impose. Cette mutation doit placer la question des infrastructures au cœur des priorités, comme fondement matériel indispensable à toute excellence académique. Cette transformation passe aussi par une meilleure adéquation entre formation et besoins économiques, l’amélioration drastique des conditions d’études et de la qualité de la formation, et l’internationalisation des cursus.

Cette ambition nécessite une synergie entre États, secteur privé et société civile. Elle implique également de repenser fondamentalement la place de l’université dans le projet de développement africain – non plus comme un luxe budgétaire, mais comme l’investissement le plus stratégique pour l’avenir du continent.

Cet espoir tenace, partagé par des millions de jeunes Africains, mérite mieux que des promesses politiques non tenues. Il exige des investissements concrets, massifs et durables pour transformer les universités africaines en véritables incubateurs du développement africain.

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