Si les organisations non gouvernementales (ONG) sont souvent présentées comme les fers de lance de la solidarité internationale en Afrique, la réalité de leur impact sur le terrain mérite un examen plus nuancé. Entre aide véritable et nouvelles formes de dépendance, entre annonces médiatiques et résultats concrets, le secteur humanitaire en Afrique soulève des questions fondamentales sur ses méthodes, ses motivations et son efficacité réelle.
L’ambiguïté des missions : entre humanitaire et géopolitique
Nous ne faisons pas de politique, seulement de l’humanitaire, affirment généralement les ONG présentes sur le continent africain.
Pourtant, la frontière entre aide et ingérence reste souvent poreuse. Selon un rapport de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), près de 40% des grandes ONG internationales opérant en Afrique reçoivent des financements significatifs de gouvernements occidentaux, soulevant la question de leur indépendance réelle.
Au Soudan du Sud, par exemple, l’afflux massif d’ONG après l’indépendance en 2011 a créé ce que certains experts qualifient “d’État fantôme” – une structure parallèle de services sociaux entièrement pilotée par des organisations étrangères, affaiblissant paradoxalement la construction d’institutions publiques nationales autonomes.
Une dépendance occultée
Les pays occidentaux sont dépendants des ressources de l’Afrique, et pourtant, ils perpétuent l’image d’une Afrique qui dépend de leur aide. C’est un tableau peint en nuances de post-colonialisme, où les ONG occidentales telles qu’Oxfam, Save the Children, la Croix-Rouge et Life Aid jouent un rôle ambigu. Ces organisations, bien qu’elles fassent preuve de nobles intentions, perpétuent l’image d’une Afrique dépendante, impuissante et nécessitant de l’aide.
Les campagnes publicitaires coûteuses de ces organisations ont pour effet de distordre la perception de l’Afrique. Elles mettent en scène des enfants affamés et des femmes pleurant, des villages dévastés par les maladies, le tout enveloppé dans un narratif de la misère africaine qui nécessite la pitié et la charité de l’Occident. Paradoxal, lorsque l’on considère que, pour chaque dollar d’aide internationale reçu, dix dollars quittent le continent via ces flux financiers illicites. Cela signifie que l’aide internationale est largement compensée (et dépassée) par l’évasion fiscale et la fuite des capitaux orchestrée par les multinationales.
L’opacité financière : où va réellement l’argent des donateurs ?
Le secteur humanitaire en Afrique brasse des milliards d’euros chaque année, mais la transparence sur l’utilisation effective des fonds reste problématique. Selon une analyse du Financial Times publiée en 2023, certaines grandes ONG internationales consacrent jusqu’à 60% de leur budget à des coûts administratifs, logistiques et salariaux, laissant parfois moins de la moitié des fonds collectés pour les bénéficiaires finaux.
L’écart salarial entre personnel expatrié et local illustre particulièrement cette disparité : un responsable international peut toucher un salaire jusqu’à 20 fois supérieur à celui d’un homologue africain à compétences égales, selon une enquête d’Oxfam International.
La course à la visibilité : l’impact médiatique avant l’efficacité
Les ONG doivent rivaliser pour accéder à des financements limités, que ce soit auprès de donateurs privés ou de bailleurs institutionnels comme ECHO ou USAID. Cette course aux ressources pousse chaque organisation à prouver sa réactivité, son efficience et ses résultats, afin de garantir la pérennité de ses activités. Cette logique pousse certaines structures à privilégier des actions à fort impact médiatique plutôt que des programmes moins visibles mais potentiellement plus efficaces sur le long terme.
Pour survivre, une ONG doit être visible, confie un ancien responsable d’une organisation humanitaire française active au Sahel.
Le néocolonialisme bienveillant
La question de la structure néocoloniale des ONG est un autre sujet majeur de préoccupation. Derrière ce masque de charité et de solidarité se cache une réalité plus dure : l’exploitation continue des ressources africaines par l’Occident. Si l’Afrique était véritablement prospère, elle vendrait ses ressources au juste prix du marché, ce qui menacerait les économies occidentales, qui dépendent depuis longtemps des ressources africaines bon marché acquises grâce à des pratiques d’exploitation coloniale. La surexploitation et la déstabilisation de l’Afrique par l’Occident perpétuent un système de dépendance qui entrave un développement véritable et une prospérité partagée.
Le passé colonial de l’Afrique joue toujours un rôle déterminant dans les relations économiques contemporaines avec l’Occident. L’ancien président français Jacques Chirac a publiquement reconnu l’exploitation financière de l’Afrique par la France, soulignant ainsi comment l’exploitation de l’Afrique a contribué à la puissance mondiale de l’Occident.
Aujourd’hui, leur travail contribue marginalement au soulagement de la pauvreté, mais sape la lutte des peuples africains pour s’émanciper de l’oppression économique, sociale et politique.
Aujourd’hui, les pays occidentaux évitent toute forme d’interventionnisme en Afrique qui puisse rappeler l’impérialisme colonial. Donc ils délèguent ses missions impérialistes aux ONG. Les réseaux mondialistes concoctés à partir des pays occidentaux sont de moins en moins influents en Afrique, ils essaient alors de contourner ces difficultés en passant par les ONG.
Le rôle des ONG africaines dans tout ça
Si les ONG internationales disposent généralement d’un accès privilégié aux financements et à la visibilité médiatique, leurs homologues africaines peinent souvent à se faire entendre, malgré leur connaissance approfondie du terrain.
Selon une étude de la Fondation Mo Ibrahim, moins de 2% des financements humanitaires internationaux pour l’Afrique sont directement attribués à des organisations locales, malgré les engagements répétés d’inverser cette tendance.
Quand l’humanitaire devient politique
L’expulsion d’ONG par certains gouvernements africains illustre les tensions croissantes autour de leur rôle politique. En Éthiopie, en Égypte ou au Burundi, des organisations accusées d’ingérence ont été contraintes de quitter le pays ces dernières années.
Les ONG ne peuvent prétendre être neutres quand elles prennent position sur des questions de gouvernance, note Desire Assogbavi, analyste politique togolais.
Loin d’être toujours neutres et apolitiques comme elles le prétendent souvent, les ONG sont soumises à des enjeux divers et parfois controversés. En effet, leur existence et leur fonctionnement sont influencés par une variété de facteurs politiques.
Certains États ou multinationales utilisent les ONG comme leviers d’influence pour servir leurs intérêts stratégiques. Par exemple, des bailleurs de fonds internationaux imposent des agendas politiques à travers leurs financements, orientant les actions des ONG vers des priorités qui correspondent davantage à leurs objectifs qu’aux besoins réels des populations. Cette situation est particulièrement visible dans des contextes de conflits ou de tensions politiques, où l’aide humanitaire peut devenir un outil de légitimation ou de pression.
Des modèles alternatifs qui montrent la voie
Malgré ces critiques, certaines approches innovantes démontrent qu’une autre relation est possible. En Côte d’Ivoire, l’ONG locale APDRA a développé un modèle de pisciculture familiale qui a permis à des milliers d’agriculteurs d’augmenter leurs revenus sans créer de dépendance. Sa particularité : elle accompagne techniquement les producteurs mais refuse de fournir des intrants gratuits, privilégiant l’autonomie à long terme.
Au Kenya, l’organisation GiveDirectly a bouleversé les pratiques en versant directement de l’argent aux populations défavorisées sans conditions, partant du principe que les bénéficiaires sont les mieux placés pour déterminer leurs besoins prioritaires. Les études d’impact montrent des résultats supérieurs à ceux des programmes traditionnels, avec une efficacité administrative remarquable.
Vers une refondation nécessaire
Face à ces constats, une transformation profonde du modèle humanitaire en Afrique semble inévitable.
Nous devons passer d’une logique d’aide à une logique de partenariat véritable, estime Hakima Abbas, directrice d’AWID (Association for Women’s Rights in Development).
Cette évolution nécessiterait notamment une plus grande transparence financière, un transfert progressif des responsabilités vers les acteurs locaux, et surtout, une reconnaissance sincère des compétences et de l’expertise africaines.