Chaque fois que vous regardez une vidéo en streaming, consultez votre compte bancaire en ligne ou publiez une photo sur les réseaux sociaux, vos données transitent par d’immenses installations dont vous ne soupçonnez peut-être pas l’existence : les datacenters. Ces centres de stockage de données modernes abritent les serveurs qui font fonctionner notre économie digitalisée, mais restent largement méconnues du grand public.
Qu’est-ce qu’un datacenter et pourquoi est-il si important ?
Un datacenter, ou centre de données en français, est une installation physique qui centralise les équipements informatiques d’une entreprise ou d’un service cloud. Il s’agit d’un bâtiment spécialement conçu pour héberger des serveurs, des systèmes de stockage et des équipements réseau dans des conditions optimales de fonctionnement et de sécurité.
Sans les datacenters, internet n’existerait tout simplement pas, explique Marc Durand, analyste chez Morgan Stanley. Ils constituent l’épine dorsale invisible de notre économie numérique.
L’importance stratégique des datacenters ne cesse de croître à mesure que nos sociétés se digitalisent. D’après une étude de Gartner, le volume mondial de données créées devrait atteindre 175 zettaoctets d’ici 2025, soit l’équivalent de 175 milliards de téraoctets.
À l’intérieur des datacenters
Imaginez une bibliothèque numérique géante où chaque étagère serait un serveur contenant des milliers de livres digitaux. C’est essentiellement ce qu’est un datacenter, mais avec une complexité technique bien supérieure.
Dans ces installations se trouvent :
- Des milliers de serveurs informatiques montés en rack dans des allées interminables ;
- Des systèmes de stockage massifs capables d’héberger des pétaoctets de données ;
- Des équipements réseau pour assurer la connectivité à très haut débit ;
- Des systèmes d’alimentation électrique redondants avec batteries de secours et générateurs diesel ;
- Des infrastructures de refroidissement sophistiquées pour maintenir une température constante.
Un datacenter moderne de taille moyenne consomme autant d’électricité qu’une ville de 50 000 habitants, souligne Élodie Marchand, directrice des opérations chez Equinix France.
Une diversité de modèles et d’acteurs
Le marché des datacenters est loin d’être monolithique. On distingue plusieurs catégories d’installations :
- Les datacenters privés sont exploités par une seule entreprise pour ses propres besoins. Banques, assurances ou grandes entreprises industrielles disposent souvent de leur propre infrastructure.
- Les datacenters de colocation proposent aux entreprises de louer des espaces sécurisés pour y installer leurs propres équipements. Des acteurs comme Equinix, Digital Realty ou Interxion dominent ce segment.
- Les datacenters hyperscale appartiennent aux géants du numérique (AWS, Google Cloud, Microsoft Azure) et peuvent s’étendre sur plus de 100 000 m². Celui de Google à Council Bluffs, dans l’Iowa, occupe une surface équivalente à 70 terrains de football.
- Les edge datacenters, plus petits, sont déployés à proximité des utilisateurs finaux pour réduire la latence. Ils sont essentiels pour les applications nécessitant des temps de réponse instantanés comme la voiture autonome ou la réalité virtuelle.
Comment fonctionne un datacenter ?
La performance d’un datacenter se mesure à sa disponibilité, exprimée en pourcentage de temps de fonctionnement. Les installations de niveau “Tier IV” garantissent une disponibilité de 99,995%, soit moins de 26 minutes d’interruption par an.
Pour atteindre cette fiabilité exceptionnelle, les datacenters disposent de systèmes redondants à tous les niveaux : alimentation électrique, climatisation, connexions internet et même personnel technique présent sur site 24h/24 et 7j/7.
“C’est comme avoir deux cœurs, deux poumons et deux cerveaux”, image Jean-Philippe Martin, ingénieur en infrastructures critiques. “Si un élément tombe en panne, son jumeau prend instantanément le relais.”
La sécurité avant tout
La sécurité d’un datacenter évoque celle d’une installation militaire. À l’entrée du datacenter d’OVHcloud à Strasbourg, les visiteurs doivent franchir plusieurs sas de sécurité, scanner leur iris et poser leur main sur un lecteur biométrique.
La protection ne s’arrête pas à la sécurité physique. Nos équipes de cybersécurité surveillent en permanence les tentatives d’intrusion, précise Clara Nguyen, RSSI chez Orange Business Services. En 2024, nous avons bloqué en moyenne 50 000 attaques par jour sur nos infrastructures.
Des systèmes anti-incendie sophistiqués complètent le dispositif. Plutôt que d’utiliser de l’eau qui endommagerait les équipements, les datacenters sont équipés de systèmes à gaz inerte qui réduisent le niveau d’oxygène pour étouffer les flammes sans affecter l’électronique.Le défi énergétique et environnemental
Le secteur des datacenters est confronté à un paradoxe : alors que la demande numérique explose, la pression pour réduire l’empreinte environnementale s’intensifie.
Selon l’Agence Internationale de l’Énergie, les datacenters consomment déjà 1% de l’électricité mondiale. Cette consommation pourrait tripler d’ici 2030 avec l’essor de l’intelligence artificielle.
Un seul modèle d’IA générative comme GPT-4 peut nécessiter jusqu’à 8 datacenters dédiés pour son entraînement, révèle Thomas Schmidt, chercheur en informatique durable à l’ETH Zurich.
Face à ce défi, l’industrie innove :
- Microsoft expérimente des datacenters sous-marins pour réduire les coûts de refroidissement
- Google utilise l’intelligence artificielle pour optimiser la consommation énergétique de ses installations
- Amazon s’est engagé à alimenter ses datacenters à 100% en énergies renouvelables d’ici 2025
Le PUE (Power Usage Effectiveness), qui mesure l’efficacité énergétique d’un datacenter, s’est considérablement amélioré ces dernières années, passant d’une moyenne de 2,5 en 2007 à 1,58 en 2024. L’objectif idéal est d’atteindre un PUE de 1, ce qui signifierait que toute l’énergie consommée est utilisée par les équipements informatiques, sans perte.
La géopolitique des datacenters
La localisation des datacenters est devenue un enjeu stratégique pour les États. “Les données sont le pétrole du XXIe siècle”, rappelle Sylvie Dubois, spécialiste en souveraineté numérique. “Les pays qui contrôlent les infrastructures d’hébergement disposent d’un avantage compétitif considérable.”
L’Europe a pris conscience de cet enjeu avec le RGPD, qui impose des contraintes sur la localisation des données personnelles des citoyens européens. Cette réglementation a provoqué une vague de construction de datacenters sur le continent.
En Afrique, le marché des datacenters connaît une croissance annuelle de 15%, tirée par l’adoption rapide des services mobiles et l’amélioration des infrastructures de télécommunication. Le Nigéria, l’Afrique du Sud et le Kenya sont en pointe, mais les défis restent nombreux : coût élevé de l’énergie, instabilité du réseau électrique et manque de personnels qualifiés.
Vers les datacenters du futur
L’avenir des datacenters se dessine déjà à travers plusieurs tendances de fond :
- L’automatisation : les “lights-out datacenters” fonctionnent presque sans intervention humaine grâce à des robots qui gèrent la maintenance des serveurs.
- La décentralisation : le modèle de l’edge computing rapproche les capacités de calcul des utilisateurs finaux, réduisant la latence.
- L’immersion liquide : plutôt que d’utiliser de l’air climatisé, certains datacenters immergent leurs serveurs dans un liquide diélectrique non conducteur qui absorbe la chaleur plus efficacement.
- L’intégration à l’écosystème urbain : à Stockholm et Helsinki, des datacenters injectent leur chaleur résiduelle dans le réseau de chauffage urbain, transformant un problème en ressource.
Les gardiens de notre vie numérique
Les datacenters, bien que largement invisibles aux yeux du grand public, sont devenus aussi essentiels à notre quotidien que les réseaux électriques ou d’eau potable. À mesure que l’IA générative, le métavers et l’internet des objets se développent, leur importance ne fera que croître.
Face aux défis climatiques et énergétiques, l’industrie devra continuer à innover pour concilier performance et durabilité. Car dans notre monde hyperconnecté, les datacenters sont devenus les garants silencieux de notre mode de vie numérique.