Une histoire africaine de l’Afrique par Zeinab Badawi

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Badawi, président de l’Université SOAS de Londres et ancien président de la Royal African Society, a voyagé dans plus de 30 pays africains sur une période de sept ans pour écrire ce livre, une grande réussite.

En 17 chapitres très lisibles, le livre An African History of Africa de Zeinab Badawi explore en profondeur l’histoire complexe et souvent négligée de l’Afrique avant l’arrivée des Européens. Badawi, une journaliste et cinéaste renommée, offre ici une perspective qui va au-delà de la vision réductrice de l’Afrique centrée sur l’esclavage et la colonisation. Son travail se fonde sur des sources africaines et des années de recherche de terrain à travers plus de trente pays africains. Elle s’appuie en grande partie sur le General History of Africa de l’UNESCO, une compilation d’histoires africaines écrites en grande partie par des chercheurs africains, dans le but de « décoloniser » la perception de l’histoire du continent.

Le livre couvre une période allant des origines de l’humanité, avec des récits paléoanthropologiques démontrant que l’Afrique est le berceau de l’humanité, jusqu’aux royaumes et civilisations précoloniaux, comme ceux de l’Égypte antique, de la Nubie, d’Aksoum, du Mali sous Mansa Musa, et bien d’autres. Il met en avant des figures historiques marquantes telles que des reines guerrières et des souverains puissants, illustrant le dynamisme culturel et politique des sociétés africaines.

Points Clés des Premiers Chapitres :

Origine de l’Humanité : L’auteur retrace le développement des premiers homininés en Afrique, en mettant l’accent sur les découvertes paléoanthropologiques comme Lucy et Toumaï, et sur l’importance de l’Afrique dans l’évolution humaine. Ces découvertes confirment que tous les humains partagent des racines africaines.

Premières Civilisations Africaines : Le livre explore les anciennes civilisations du Nil, comme l’Égypte et la Nubie, qui ont influencé non seulement l’Afrique mais aussi le monde méditerranéen. Badawi détaille le rôle de l’environnement et des ressources naturelles comme le Nil dans le développement de ces civilisations.

Culture et Systèmes Politiques : La culture des royaumes africains est riche, avec des systèmes politiques avancés et des dynasties puissantes. Par exemple, le chapitre sur Mansa Musa met en lumière la prospérité et l’influence du Mali médiéval, ainsi que l’importance de Tombouctou en tant que centre de savoir.

Civilisations de la Vallée du Nil : Égypte et Nubie

Dans les chapitres consacrés aux civilisations égyptienne et nubienne, Badawi met en lumière l’impact culturel et technologique de l’Égypte ancienne, souvent isolée dans les études historiques comme une civilisation à part, bien que profondément africaine. Elle souligne que les pharaons de l’ancienne Égypte sont connus pour leurs immenses avancées en architecture, notamment avec les pyramides, mais aussi pour leurs contributions dans les domaines de l’écriture (hiéroglyphes) et de l’astronomie.

Les pyramides, notamment celles d’Égypte sont des symboles de la grandeur des anciennes civilisations africaines. Les pyramides, et en particulier celles de Gizeh – construites pendant l’Ancien Empire sous les pharaons Khéops, Khéphren et Mykérinos – témoignent d’une maîtrise avancée de l’architecture, de l’ingénierie et de l’organisation sociale.

Les pyramides ne se limitent pas à l’Égypte ; il existe aussi les pyramides nubiennes, situées au Soudan actuel, dans l’ancienne région de Koush. Ces pyramides, bien que plus petites et plus élancées que celles d’Égypte, servaient également de tombes pour les rois et reines koushites, soulignant les liens culturels étroits entre la Nubie et l’Égypte antique. Badawi souligne que ces monuments révèlent un développement architectural propre aux Africains, bien avant toute influence extérieure.

Les pyramides de Nubie et d’Égypte symbolisent ainsi non seulement des prouesses techniques mais aussi des traditions spirituelles et des croyances profondes autour de la vie après la mort, enracinées dans les cultures africaines.

Badawi décrit également le pouvoir unificateur du Nil, qui a permis l’essor d’une société agricole prospère et centralisée sous le règne de pharaons influents.

La Nubie et le Royaume de Koush :

Elle explore également la Nubie, au sud de l’Égypte, où le Royaume de Koush a émergé comme un rival et parfois un allié de l’Égypte. Le royaume de Koush a joué un rôle crucial, notamment en conquérant l’Égypte et en établissant une dynastie de pharaons d’origine africaine connue sous le nom de dynastie koushite ou éthiopienne. Badawi met en avant des personnalités comme le pharaon Taharqa, dont le règne a marqué une période d’apogée culturelle et militaire pour Koush.

Le Royaume d’Aksoum et la Propagation du Christianisme

Un autre chapitre important concerne le royaume d’Aksoum (dans l’actuelle Éthiopie et Érythrée), l’un des plus anciens royaumes chrétiens au monde. Badawi décrit le rôle d’Aksoum en tant que centre commercial majeur reliant l’Afrique à l’Asie et à l’Europe. Sous le règne du roi Ezana, Aksoum a adopté le christianisme au IVe siècle, devenant ainsi l’un des premiers royaumes chrétiens officiels de l’histoire, bien avant plusieurs régions d’Europe. Aksoum a également développé son propre alphabet, le ge’ez, et ses églises sculptées dans la roche restent des témoignages impressionnants de son héritage spirituel et artistique.

Les Dynasties du Nord et l’Influence de l’Islam

Les chapitres suivants se concentrent sur les dynasties nord-africaines et l’impact de l’Islam en Afrique. À partir du VIIe siècle, l’Afrique du Nord est profondément influencée par l’expansion islamique, notamment par les dynasties amazighs (berbères) qui adoptent et adaptent l’islam à leurs coutumes locales. Badawi montre comment cette région est devenue un carrefour de civilisations, marquée par la coexistence et l’échange culturel entre l’islam et les traditions locales.

Elle aborde également des personnalités comme Ibn Khaldoun, l’historien et philosophe nord-africain, qui a développé des concepts de sociologie et de politique qui influencent encore aujourd’hui.

Les Empires d’Afrique de l’Ouest : Ghana, Mali et Songhaï

L’auteur consacre un chapitre à Mansa Musa et à l’Empire du Mali, l’une des périodes les plus prospères de l’histoire africaine. En plus de sa richesse, qui fascinait le monde musulman et européen, le Mali était un centre intellectuel où des universités et des bibliothèques se sont épanouies, notamment à Tombouctou. Mansa Musa est également connu pour son pèlerinage à La Mecque en 1324, durant lequel il a distribué tant d’or qu’il a provoqué une dévaluation temporaire de l’or en Égypte. L’impact culturel et économique du Mali en Afrique et au-delà est un exemple de l’influence que les royaumes africains pouvaient exercer bien avant l’arrivée européenne.

Badawi aborde aussi les empires de Ghana et de Songhaï, décrivant leurs avancées dans le commerce, l’organisation politique et les arts. Les échanges commerciaux avec le monde arabo-musulman apportaient non seulement des biens mais aussi des idées et des savoirs.

Les Royaumes du Sud : Zimbabwe et le Grand Zimbabwe

Le livre consacre une section à la civilisation du Grand Zimbabwe, qui est l’un des plus remarquables exemples d’architecture monumentale en Afrique subsaharienne. Situé dans l’actuel Zimbabwe, ce royaume est surtout connu pour ses ruines impressionnantes, faites de murs de pierre massifs assemblés sans mortier, une prouesse technique et esthétique qui atteste d’une maîtrise avancée des techniques de construction.

Badawi explique que le Grand Zimbabwe était un centre de commerce prospère, exportant de l’or, de l’ivoire et d’autres biens précieux vers les côtes de l’océan Indien, où ces produits étaient échangés avec des marchands venus de Perse, d’Inde et de Chine. L’influence du commerce transocéanique est évidente dans la diversité des objets retrouvés sur place, qui incluent des porcelaines chinoises et des perles persanes. Le royaume de Mutapa, un autre royaume florissant du sud, a pris le relais après le déclin de Zimbabwe, montrant une continuité de prospérité et d’organisation politique dans la région.

Les Royaumes d’Afrique de l’Est : Les Cités-États Swahili

En Afrique de l’Est, Badawi explore les cités-États swahili qui ont fleuri le long de la côte, du Kenya jusqu’au Mozambique actuel, entre le IXe et le XVIe siècle. Ces cités-États, comme Kilwa, Mombasa et Zanzibar, étaient des carrefours de commerce et de culture, où des marchands arabes, indiens et persans se mélangeaient aux habitants africains.

Les cités swahili ont développé une culture distincte, avec une architecture en pierre corallienne et une langue – le swahili – enrichie de termes arabes. Cette région a prospéré grâce à l’exportation de ressources comme l’or, l’ivoire, les épices et même des esclaves, ce qui a contribué à créer une élite locale puissante et cosmopolite. Badawi souligne l’importance de ces sociétés swahili, qui, bien avant la colonisation européenne, entretenaient des liens culturels et commerciaux étendus et possédaient une organisation sociale sophistiquée.

La Traite Négrière et l’Esclavage

Le livre aborde ensuite le sombre sujet de la traite des esclaves, mais Badawi prend soin d’en présenter les multiples facettes, notamment en distinguant la traite atlantique de celle de l’océan Indien et de la traite transsaharienne, qui étaient en place bien avant l’arrivée des Européens en Afrique.

Traite Atlantique : La traite transatlantique d’esclaves, opérée par les puissances européennes, a conduit à l’exportation forcée de millions d’Africains vers les Amériques. Badawi décrit l’impact dévastateur de cette traite, qui a fragmenté des sociétés, provoqué des guerres interethniques et saigné l’Afrique de sa main-d’œuvre et de son potentiel démographique et économique.

Traite Transsaharienne et Océan Indien : Ces réseaux commerciaux ont également entraîné des déportations massives, mais souvent dans des conditions différentes. Par exemple, les esclaves envoyés vers l’Asie étaient utilisés dans des rôles domestiques ou militaires, et beaucoup ont assimilé les cultures des régions où ils ont été envoyés. Badawi rappelle que ces traites sont parfois méconnues, malgré leur impact considérable sur les sociétés africaines.

Résistance et Révoltes contre la Traite et la Colonisation

Badawi met en avant des figures héroïques de résistance qui ont combattu contre la traite négrière et plus tard contre la colonisation. Parmi ces figures, on retrouve la reine Nzinga d’Angola, connue pour sa diplomatie habile et sa lutte contre les Portugais, ainsi que le roi Shaka Zulu, qui a consolidé et unifié les clans zoulous en Afrique australe, leur donnant la force de résister face aux envahisseurs.

Les Bronzes du royaume de Bénin

Badawi parle également des célèbres bronzes produits par le royaume de Bénin (situé à Edo dans l’actuel Nigéria). Ces bronzes, fabriqués entre les XIIIe et XIXe siècles, comprennent des sculptures et des plaques en métal qui ornaient le palais royal. Ils illustrent non seulement la sophistication artistique mais aussi les compétences techniques avancées des artisans de ce royaume en métallurgie, qui utilisaient des méthodes de moulage à la cire perdue pour créer des pièces d’une grande complexité et d’un niveau de détail impressionnant.

Badawi souligne que ces œuvres, longtemps mal comprises et souvent attribuées à des influences extérieures par les Européens, témoignent en fait de traditions artistiques locales profondément enracinées. Ces bronzes représentent des figures royales, des scènes de la cour et des événements historiques, capturant des aspects de la vie, de la culture et de la spiritualité du royaume. Malheureusement, beaucoup de ces bronzes ont été pillés lors de l’invasion britannique de 1897 et se retrouvent aujourd’hui dans des musées européens, ce qui suscite des demandes de restitution et alimente le débat sur la préservation et le respect des patrimoines culturels africains.

Elle souligne également la résistance intellectuelle et spirituelle menée par des communautés africaines. Dans plusieurs régions, les peuples africains ont adopté des tactiques d’évasion, ont attaqué les infrastructures coloniales, et ont utilisé leurs propres systèmes de croyance et d’organisation pour résister à la domination européenne.

La Reine Nzinga d’Angola : Diplomatie et Résistance contre la Traite Portugaise

La reine Nzinga (1583-1663), souveraine du royaume de Ndongo (aujourd’hui en Angola), est l’une des figures de résistance les plus emblématiques. Elle a fait preuve d’une habileté diplomatique et militaire exceptionnelle pour s’opposer à la colonisation portugaise et à la traite des esclaves. Dès son accession au trône, elle a mené une politique astucieuse pour protéger son peuple des envahisseurs européens, en établissant des alliances avec d’autres royaumes africains et même en négociant avec les Portugais lorsque cela était nécessaire pour gagner du temps ou éviter un affrontement direct.

Nzinga est surtout connue pour une rencontre diplomatique où, refusant de s’agenouiller face aux émissaires portugais (qui n’avaient pas prévu de siège pour elle), elle ordonna à l’un de ses serviteurs de se mettre à quatre pattes pour s’asseoir dignement à hauteur de son interlocuteur. Cette scène symbolise sa détermination à préserver la souveraineté de son royaume et son refus de se soumettre aux exigences coloniales.

Badawi met en lumière comment Nzinga a également adopté des tactiques militaires non conventionnelles, utilisant la géographie et le soutien populaire pour harceler les forces portugaises. Elle a organisé des raids sur les avant-postes portugais et a maintenu une résistance active pendant des décennies. Son héritage est célébré comme un exemple de la lutte contre l’exploitation coloniale et la traite des esclaves.

Shaka Zulu : L’unification des Clans Zoulous

Shaka Zulu (vers 1787-1828), autre figure marquante, a transformé les Zoulous en une puissance militaire et politique majeure en Afrique australe. Badawi décrit Shaka comme un stratège innovant, qui a non seulement unifié les clans zoulous souvent divisés mais a également introduit des réformes militaires qui ont fait des Zoulous une force redoutable. Shaka a réorganisé son armée en introduisant des formations disciplinées, a innové dans les armes (en popularisant une lance courte, l’iklwa, pour les combats rapprochés), et a mis en place des tactiques d’encerclement qui lui ont permis de remporter plusieurs victoires décisives contre ses adversaires.

Sous son règne, les Zoulous ont agrandi leur territoire et ont imposé leur influence sur des régions aujourd’hui en Afrique du Sud. Cependant, Shaka n’a pas seulement créé un empire guerrier; il a également imposé des règles sociales et culturelles qui ont permis de solidifier l’unité des Zoulous. Sa vision et son organisation ont eu un impact durable, et sa réputation de chef implacable et visionnaire est restée gravée dans l’histoire zouloue et africaine.

Mansa Musa : Le Roi du Mali et l’Aura de la Richesse Africaine

Mansa Musa, souverain de l’Empire du Mali au début du XIVe siècle, est souvent cité comme l’un des hommes les plus riches de l’histoire. Badawi explique que son règne a non seulement enrichi le Mali mais a aussi fait de Tombouctou un centre de savoir et de culture. Lors de son célèbre pèlerinage à La Mecque en 1324, Mansa Musa a emporté une quantité impressionnante d’or, qu’il a distribué généreusement au cours de son voyage. Cette distribution a eu des conséquences économiques significatives en Égypte, provoquant une inflation qui a duré plusieurs années.

Mais l’impact de Mansa Musa ne se limitait pas à sa richesse. En rentrant de La Mecque, il a ramené avec lui des érudits, des architectes et des artistes qui ont contribué à bâtir des mosquées, des universités et des bibliothèques, faisant de Tombouctou un pôle intellectuel où des centaines de milliers de manuscrits sur la science, la philosophie et la poésie étaient conservés. Tombouctou est ainsi devenue un symbole de la grandeur africaine et de l’influence intellectuelle du Mali, attirant des étudiants de toute l’Afrique et au-delà.

Croyances et Structures Sociales Traditionnelles

Badawi montre également que les sociétés africaines possédaient des structures sociales et des croyances qui reflétaient une profonde connexion avec leur environnement naturel et un sens de la communauté très fort. Des concepts comme l’ubuntu en Afrique australe (« je suis parce que nous sommes ») illustrent la philosophie d’interdépendance et de respect des autres, qui structurait la vie sociale. Contrairement aux religions institutionnalisées, les croyances africaines traditionnelles étaient souvent non-dogmatiques et incorporées dans la vie quotidienne, mettant l’accent sur l’harmonie avec la nature et les ancêtres.

En Afrique de l’Ouest, par exemple, les religions yoruba ou vaudou intégraient une multitude de divinités et d’esprits protecteurs liés à la nature, aux rivières, aux forêts et aux montagnes, reflétant une cosmologie complexe où les esprits des ancêtres pouvaient intervenir pour protéger ou guider les vivants. Ces croyances ont joué un rôle important dans la résilience des sociétés africaines face aux pressions extérieures, en nourrissant un sentiment identitaire qui transcendait les simples divisions politiques.

Conclusion : Une Afrique Redéfinie et la Jeunesse Africaine

Dans l’épilogue, Badawi réfléchit au rôle crucial de la jeunesse africaine dans la construction d’un avenir postcolonial. Elle exprime l’espoir d’une renaissance africaine qui valorise l’héritage ancien du continent tout en abordant les défis modernes. Elle appelle à une redécouverte de l’histoire africaine par les Africains eux-mêmes et encourage l’autodétermination pour contrer les récits dominants qui continuent de peser sur l’identité africaine.

Ce livre se veut non seulement une histoire, mais une célébration de la richesse et de la résilience des sociétés africaines.

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