L’Etat fédéral d’Afrique noire : la seule issue (Théophile Obenga)

Les Africains actuels ont la vertu d’ériger l’accessoire en arguments ou en problèmes essentiels. Ils prennent les épiphénomènes pour ce qui est essentiel. D’épiphénomène en épiphénomène, les choses ne progressent pas. On tourne en rond. On n’avance guère. L’essentiel est perdu de vue quand domine l’accessoire. Du coup, un véritable leadership fait gravement défaut. Il est rare que l’accessoire puisse engendrer un leadership dynamique.

Dans l’Afrique noire actuelle, le discours de la méthode pourrait consister à distinguer nettement l’accessoire de l’essentiel : ce qui est décisif, impératif, de ce qui ne l’est pas; ce qui est urgent de ce qui l’est moins et qui, par conséquent, n’a pas l’urgence de l’essentiel.

L’essentiel, pour l’Afrique noire, est ailleurs : à l’échelle d’un État fédéral panafricain continental, pour aborder collectivement, solidairement, d’un même élan, les problèmes essentiels, dans le monde contemporain.

L’Afrique  noire est jusqu’ici au seuil des avancées militaires et économiques de l’humanité. Son extrême fragilité politique favorise le pompage accéléré de ses matières premières, notamment par l’Occident, depuis la révolution industrielle occidentale.

On s’est trompé. La question de l’Afrique n’est pas le sous-développement ou le développement. Nous n’avons pas à nous développer, ça se fait automatiquement. L’enfant qui naît ne se pose pas la question de respirer. S’il a de bons poumons, il respire automatiquement. La question de l’Afrique est très nettement, il faut le dire, la question du rapport de force dans le monde contemporain.

Il faut donc à l’Afrique un gigantesque projet pour sortir de cette situation de précarité, de souffrance, de pauvreté et de misère, de domination et d’injustice. Le salut est collectif, à l’échelle d’un Etat fédéral panafricain. Les États-Unis d’Afrique sont une vieille vision du Jamaïcain Marcus Garvey.

Le monde contemporain est caractérisé, au plan politique, économique, monétaire, militaire, scientifique, industriel, technologique, par de grandes masses géopolitiques et géostratégiques.

Telle est la réalité fondamentale du monde d’aujourd’hui et de demain.

Les communautés humaines, les nations, les États, leurs aspirations et leurs visions, ont complètement changé d’échelle.

Il y aura les nains et les grands, les mondes politiquement balkanisés et les mondes politiquement unis et forts.

Le monde occidental, héréditairement destructeur depuis le Cro-Magnon, a toujours été uni contre l’Afrique noire désunie ;

L’Etat fédéral Africain

Si la génération actuelle, responsable des destinées de l’Afrique noire, est incapable de faire en sorte que l’Afrique noire rencontre son destin panafricain, alors les générations africaines à venir auront beaucoup d’immenses obstacles, presque impossibles à vaincre des masses géopolitiques et géostratégiques devenues de plus en plus arrogantes, égoïsmes nationaux accrus, conflits permanents initiés par l’Occident à la recherche de matières premières,  armements de plus en plus hypersophistiqués, avancées scientifiques et technologiques incroyables, frontières commerciales de plus en plus hermétiques, etc.

L’Afrique doit donc faire vite. Il est devenu une exigence, pour les Africains, de vivre avec l’idée ou le sentiment existentiel de l’« accélération de l’histoire» (Daniel Halévy), c’est-à-dire l’idée maîtresse du temps qui court et ne saurait attendre les timorés, les indécis, les hésitants, bref tous ceux qui ne cultivent pas l’audace, la témérité, le courage, et sont pauvres de toute ambition grandiose pour l’Afrique noire. Les risques, les pesanteurs, les obstacles, font toujours corps avec les grands enjeux mais la détermination intelligente et le dévouement courageux l’emportent nécessairement sur les obstacles. La question des «étapes » est accessoire, purement «intellectuelle ». C’est l’objectif final qui compte, et il ne peut être perçu que dans l’urgence contemporaine de l’histoire. La détermination africaine seule compte, avec le sens aigu des responsabilités qui l’accompagne.

Jamais les Occidentaux, la Banque mondiale, le Fond monétaire international, l’Union européenne, etc., jamais ces structures occidentales, issues de la traite négrière, des codes noirs et des codes indigènes, des coopérations injustes et des plans d’ajustement structurel, jamais, disons-nous, ces structures n’aideront l’Afrique noire à s’en sortir : jamais. Le social, la santé, l’alimentation, l’éducation, la solidarité nationale, la route, le transport, le véritable développement, tout cela qui est fondamental ne reçoit que dédain de la part de la Banque mondiale et du FMI où règnent, au sommet, des comportements pulsionnels, ivres de toutes les jouissances du pouvoir de l’argent et, bien évidemment, pauvres de toute moralité. Et les fameuses dettes sont totalement injustes.

L’effort africain est irremplaçable : il faut donc se méfier des donneurs de leçons occidentaux. Les capacités africaines pour le développement doivent être marquées du sceau africain. On ne se développe pas durablement ni par délégation ni sur les conseils inopportuns et inadaptés des experts occidentaux.

La Renaissance africaine requiert ainsi une rupture radicale avec les ruses et les complots séculaires de l’Occident pour embrasser librement et totalement la vision et le projet de l’État fédéral africain : là est l’essentiel, et c’est la seule issue pour les Noirs africains d’aujourd’hui et de demain, afin d’éviter une recolonisation occidentale possible de l’Afrique noire dans un ou deux siècles. Pour ses intérêts, l’Occident des affaires n’est guidé par aucun principe juste, moral, humaniste, civilisationnel.

La construction politique et économique de la puissance africaine, dans le cadre d’un État fédéral continental, est une question cruciale de survie des peuples africains dans le monde d’aujourd’hui et de demain, question primordiale pour les Africains, mais question nullement envisageable pour les Occidentaux. C’est la vérité.

Aucun homme politique occidental, aucun expert occidental, aucun banquier ou financier occidental, aucun officier occidental, aucun intellectuel occidental : aucune de ces forces qui structurent la société occidentale n’osera parler de l’État fédéral d’Afrique noire dans ses analyses et visions des prochains millénaires. C’est aux Africains, seuls, de se déterminer et de travailler en conséquence: « Aide-toi et le ciel t’aidera »!

De toute évidence, les Africains ont besoin d’aide, d’appui, de soutien, de coopération, etc., mais, en aucune circonstance, ils doivent aliéner leur pensée, leur vision, leur âme. Une aide ou une coopération qui réinstalle l’aliénation, la subordination, la soumission, la peur viscérale, l’esclavage, est à exclure de toute énergie. Les liens historiques entre les Africains et les Occidentaux qui sont des liens éventuels d’amitié doivent le rester dans le respect mutuel, sans les arrière-pensées de supériorité ou d’infériorité, jadis et naguère magnifiées par l’Occident : l’État fédéral africain est fondamentalement un travail de justice, de liberté, de respect, de progrès et de paix.

Les États-nations africains actuels ne peuvent pas, individuellement, faire face et tenir devant les grandes puissances d’aujourd’hui et surtout de demain. Même les plus puissants d’aujourd’hui développent d’ores et déjà des visions politiques plus gigantesques pour le futur, en créant par exemple une masse géostratégique Europe orientale Asie, Russie et Chine y compris.

La décision finale de toute véritable Renaissance africaine est la création de l’État fédéral d’Afrique noire, pour les combats de demain et pour la paix du monde.

L’État-nation africain actuel n’est pas vraiment porteur d’un grand et rayonnant avenir africain dans le monde si complexe qui se prépare sous nos yeux.

C’est ainsi que la Renaissance africaine et l’État fédéral africain doivent plus que jamais s’imposer à tous les leaders politiques, industriels, culturels, intellectuels et spirituels de l’Afrique noire, car l’État fédéral africain, à bien y réfléchir, est la seule issue.

Le manque d’unité et de solidarité, dans un monde de grandes masses géopolitiques et géostratégiques, ne saurait conduire au salut : l’Afrique noire risque d’être recolonisée par des puissances avides que de ses matières premières. L’Occident, depuis des siècles, n’a fait que du mal à l’Afrique noire, à travers la traite négrière, l’esclavage, la colonisation, le racisme, l’apartheid, le massacre des leaders africains d’envergure : les intelligences occidentales les plus éclairées, les plus élevées, l’ont affirmé, en toute liberté et en toute vérité.

Ainsi, donc, et sans ambiguïté, l’État fédéral africain demeure la seule issue, pour aujourd’hui et pour demain. Tout doit s’orienter et s’acheminer vers cette historique issue.

Il n’y aura plus de conflits postélectoraux, de politiques de réconciliation nationale, encore moins d’interventions militaires occidentales néocoloniales : plus de réseaux néocoloniaux, plus de pillage des matières premières, plus de « France-Afrique », plus de francophonie, de Commonwealth, etc : tout l’accessoire cédera alors la place à l’essentiel.

Il ne restera que l’essentiel : la construction d’une humanité de justice, d’égalité, de fraternité et de progrès pour la paix et le bien-être de la famille humaine.

Source :
Extrait du livre intitulé « L’Etat fédéral d’Afrique noire : la seule issue » (Théophile Obenga)

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