L’Afrique noire est mal partie – René Dumont

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Dumont était connu du grand public pour son livre publié en 1962, L’Afrique Noire est Mal Partie. Il a dénoncé les politiques agricoles et sociales à courte vue des États africains nouvellement indépendants, politiques qui se sont poursuivies et qui ont entraîné une baisse constante de la production agricole.

L’Afrique, parce qu’elle est désormais une des principales, sinon la première, réserves de matières premières, de sources d’énergie renouvelables et de terres cultivables, parce qu’elle est le lieu d’une croissance démographique qui n’a pas encore atteint le point de transition, parce qu’elle est en quête de modèles politiques, économiques et sociaux capables de lui donner sécurité et stabilité.

René Dumont a vu les défis qui attendaient l’Afrique et il a pris de plus en plus conscience du temps qu’il faudrait pour relever ces défis. Il a, dans ce livre et jusqu’à la fin de sa vie, dénoncé l’indifférence au point de vue des paysans ; il a démontré la faiblesse, l’insuffisance, l’incohérence des politiques d’appui, de formation ou de vulgarisation qu’on offrait à des producteurs enfermés dans de multiples contraintes – surfaces trop petites, irrigation trop faible, accès aux intrants et aux outils inadapté, possibilités d’échanges et de commercialisation quasi nulles. Mais il a aussi affirmé sa foi dans l’énergie et l’inventivité de ces mêmes producteurs, une fois qu’ils pourraient prendre en charge leur propre destin. 

L’Afrique noire est mal partie, paru en 1962, constitue une virulente dénonciation de ce que René Dumont appelait le « colonialisme de classe ». Autrement dit du système d’exploitation, d’oppression et de prévarication que les classes dominantes urbaines – essentiellement la bourgeoisie d’État, la caste nombreuse et largement parasitaire des fonctionnaires – imposent à leurs cultivateurs, éleveurs, pêcheurs… qui, dans tous les pays d’Afrique, forment l’immense majorité de la population.

Pour la plupart des nouveaux États d’Afrique noire francophone, l’indépendance venait d’être acquise par la négociation, plus précisément par un transfert de souveraineté gracieusement concédé par la puissance coloniale. Mais, comme le disait Dumont, « indépendance n’est pas décolonisation ». Tout au plus un drapeau, une constitution (généralement copiée sur celle de l’ancienne métropole coloniale), une bureaucratie autochtone… et la permanence de la dépendance financière, économique, militaire et diplomatique, en bref, une souveraineté largement fictive.

Les deux seules véritables révolutions paysannes de l’Afrique francophone, celle de l’Union des populations camerounaises (UPC) en pays bamiléké et celle de Patrice Lumumba et de son Mouvement national congolais (MNC) ont été écrasées dans le sang par les troupes coloniales et leurs supplétifs indigènes. Partout ailleurs, en Afrique noire francophone, ce sont les notables urbains africains, mis en place par les colons, qui ont remplacé les gouverneurs et administrateurs coloniaux. Léopold Sédar Senghor, premier président du Sénégal, Félix Houphouët-Boigny, premier chef d’État de Côte d’Ivoire, Tombalbaye au Tchad, Fulbert Youlou à Brazzaville, etc., ont été, avant 1960, députés au Palais-Bourbon à Paris. 

Depuis la première édition de l’ouvrage dérangeant de Dumont, les spoliations et la misère des paysans n’ont cessé de s’accroître. Selon la Banque mondiale, durant la seule année 2010, 41 millions d’hectares de terres arables d’Afrique noire ont été accaparés par les hedge funds, les sociétés transcontinentales privées, les fonds souverains occidentaux, chinois, indiens ou Emiratis. Avec pour résultat, comme en Éthiopie, l’expulsion des petits paysans. 

Dumont avait prévu le martyre des paysans, mais pas anticipé la perverse théorie de légitimation invoquée par les spoliateurs pour justifier leurs actes. C’est la Banque mondiale, mais aussi la Banque africaine de développement qui financent ces vols de terre. Leur argument : la productivité agricole est très basse en Afrique, la lutte contre la malnutrition ne sera victorieuse que par la cession des terres aux multinationales et par les performances de ces dernières. Il est vrai qu’au Sahel un hectare de céréales produit 600 à 700 kg contre 10 tonnes, soit 10 000 kg, en Bretagne ou en Lombardie. Mais l’écart ne s’explique pas parce que les paysans africains seraient moins compétents ou moins travailleurs que les paysans français ou italiens. C’est parce que l’appareil administratif, les milliers de bureaucrates urbains largement parasitaires, les Mercedes des ministres et les prébendes des dirigeants absorbent l’essentiel du budget des États.

En moyenne, et au cours de la période 1999-2009, la part du budget consacrée par les États d’Afrique francophone à la promotion de l’agriculture vivrière a été inférieure à 6 % . La plus-value paysanne finance la bureaucratie ou, pour reprendre, encore, les termes de Dumont, « le colonialisme de classe ». L’argent qui reste pour financer les engrais minéraux, les semences sélectionnées, les herbicides, les fongicides, les infrastructures routières, l’irrigation, ou encore les réserves alimentaires en cas de catastrophes est parfaitement insuffisant. La ville avale l’essentiel des fonds disponibles. Il y a encore des paysans sur le continent qui n’ont que houe et machette comme seuls instruments de production. Ils pratiquent l’agriculture de pluie.

La vision formulée par Dumont il y a cinquante ans – celle d’une paysannerie disposant d’outils modernes et performants, de moyens de traction, de semences sélectionnées, d’engrais minéraux et animaux, de crédits bancaires, d’infrastructures routières, de collèges de formation, etc. – n’est pas encore une réalité dans la plupart des pays Africains.

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