Depuis des décennies, les récits occidentaux dominent la représentation de l’Afrique dans les médias et le cinéma. Ces récits, souvent stéréotypés, réduisent le continent à des images de pauvreté, de conflits ou de crises humanitaires, occultant la diversité, la richesse culturelle et la modernité des sociétés africaines. Cette domination narrative prive l’Afrique de la capacité à se raconter elle-même, à montrer ses multiples facettes et à valoriser son patrimoine immatériel.
Reprendre le contrôle du récit africain est donc un enjeu culturel majeur. Il s’agit de raconter nos propres histoires à travers des médias et formes artistiques authentiques : cinéma, musique, mode, littérature, jeux vidéo, et autres expressions culturelles. Ces supports permettent de transmettre des valeurs, des traditions, mais aussi d’explorer des imaginaires contemporains et futuristes, contribuant à une meilleure compréhension de l’Afrique par elle-même et par le monde.
Des exemples emblématiques montrent que cette dynamique est déjà en marche. Le film Black Panther et la représentation de Wakanda ont offert une vision positive et puissante d’une Afrique technologiquement avancée, inspirant fierté et espoir. Dans la musique, Burna Boy, avec son afrobeat moderne, a conquis la scène internationale, popularisant la musique africaine et ses messages. Enfin, Nollywood, l’industrie cinématographique nigériane, est devenue un acteur mondial, produisant des milliers de films qui racontent la vie quotidienne, les défis et les rêves des Africains, offrant une alternative aux productions occidentales.
Un marché en pleine croissance et un levier économique
L’industrie du divertissement en Afrique connaît une expansion spectaculaire, portée par plusieurs segments dynamiques comme le cinéma, la musique, le streaming et les jeux vidéo. En 2024, la taille du marché africain des médias et du divertissement est estimée à environ 63,17 milliards de dollars, avec une croissance attendue à un taux annuel moyen de 5,44 % jusqu’en 2029, pour atteindre 82,34 milliards de dollars.
Le cinéma africain, notamment Nollywood, est un acteur majeur de cette croissance. Nollywood produit des milliers de films par an et s’impose comme la deuxième plus grande industrie cinématographique au monde en volume, derrière Bollywood. Cette industrie génère non seulement des revenus importants, mais aussi un nombre considérable d’emplois, contribuant à la vitalité économique locale.
Par ailleurs, les plateformes de streaming africaines comme Showmax ou IrokoTV connaissent un essor rapide, répondant à une demande croissante pour des contenus authentiquement africains accessibles partout sur le continent et dans la diaspora. Cette tendance est renforcée par l’augmentation de la connectivité mobile et l’adoption massive des smartphones.
Le secteur du jeu vidéo est également en pleine révolution. Le marché africain du gaming a atteint 1,8 milliard de dollars en 2024, avec une croissance annuelle de 12,4 %, soit six fois plus rapide que la moyenne mondiale. Le jeu mobile domine ce marché, représentant près de 90 % des revenus, et le nombre de joueurs en Afrique dépasse les 349 millions, avec des pays comme l’Égypte, le Nigeria et l’Afrique du Sud en tête. Cette croissance rapide ouvre des opportunités uniques pour les développeurs, investisseurs et entrepreneurs locaux.
Au total, les industries culturelles et créatives (ICC) génèrent environ 45,3 milliards de dollars de revenus annuels en Afrique, créant des millions d’emplois, dont une large part dans le secteur informel. Les pays leaders sont l’Afrique du Sud, le Nigeria et l’Éthiopie, qui contribuent fortement à cette dynamique économique.
Le divertissement en Afrique ne se limite donc pas à la culture : c’est un levier économique puissant, créateur d’emplois, de richesse et de soft power. Il offre des opportunités d’investissement attractives pour les acteurs locaux et la diaspora, désireux de participer à la transformation culturelle et économique du continent.
Les médias africains face aux défis de financement et d’indépendance
Malgré leur rôle crucial dans la promotion de la culture africaine, les médias et industries du divertissement sur le continent doivent relever des défis majeurs liés au financement et à l’indépendance éditoriale. Le manque d’infrastructures adaptées — tels que des studios modernes, des équipements techniques performants ou des formations professionnelles spécialisées — freine la montée en puissance d’une industrie culturelle pleinement souveraine.
Le financement constitue l’un des obstacles les plus importants. Les modèles économiques traditionnels basés sur la publicité et les abonnements peinent à assurer la viabilité des médias africains, notamment dans un contexte où la migration des annonceurs vers les plateformes numériques internationales (Facebook, Google) réduit les revenus des médias locaux. De plus, la majorité des populations africaines ayant des revenus modestes, le recours à l’abonnement payant reste limité.
Cette situation pousse souvent les médias à dépendre de financements extérieurs, notamment d’aides internationales, de fondations ou de coopérations bilatérales. Or, cette dépendance peut poser des risques pour l’indépendance éditoriale, avec des agendas parfois flous ou des pressions indirectes sur les contenus. L’autocensure demeure un problème dans plusieurs pays, où la critique du pouvoir politique peut entraîner des répercussions sévères.
Pour construire une industrie médiatique et culturelle souveraine, plusieurs pistes sont explorées :
- La création de fonds de soutien publics ou privés dédiés aux industries culturelles et médiatiques, comme le National Fund for Public Interest Media en Afrique du Sud, qui soutient un journalisme de qualité et indépendant.
- Le développement de modèles hybrides combinant abonnements, publicité locale, mécénat et financement participatif, pour diversifier les sources de revenus et limiter les dépendances uniques.
- La mise en place de coopératives et de partenariats sud-sud, favorisant l’échange d’expertises et la mutualisation des ressources entre pays africains.
- Le renforcement des formations professionnelles et des infrastructures techniques adaptées, pour améliorer la qualité des productions culturelles et médiatiques.
- Ces stratégies sont essentielles pour garantir que les médias africains puissent porter des récits authentiques, reflétant la diversité culturelle du continent, tout en assurant leur pérennité économique et leur indépendance éditoriale.
La jeunesse africaine comme moteur de créativité
La jeunesse africaine est au cœur de la révolution culturelle et médiatique du continent. Avec une population majoritairement jeune — plus de 60 % des Africains ont moins de 25 ans — cette génération dynamique utilise les nouvelles technologies et plateformes numériques pour exprimer sa créativité et faire rayonner la culture africaine à l’échelle mondiale.
Les réseaux sociaux comme TikTok, YouTube, Instagram ou encore les podcasts sont devenus des espaces privilégiés où les jeunes Africains racontent leurs histoires, partagent leurs talents et innovent dans des formats variés. Cette nouvelle vague d’expression inclut aussi des domaines comme l’animation 3D, le design graphique, la mode urbaine, et le développement de jeux vidéo, qui connaissent un essor fulgurant.
La diaspora africaine numérique joue un rôle amplificateur important. Connectée à ses racines culturelles et aux tendances mondiales, elle contribue à diffuser la culture africaine tout en créant des ponts entre continents. Ce phénomène nourrit un sentiment de pan-africanisme culturel, où les jeunes artistes et créateurs s’inspirent mutuellement et collaborent au-delà des frontières nationales.
Cette créativité juvénile est aussi un levier économique puissant. En Côte d’Ivoire, par exemple, le gouvernement a récemment financé 13 projets culturels à hauteur de 144,5 millions de FCFA, créant plus de 600 emplois et générant un chiffre d’affaires estimé à plus d’un milliard de FCFA. Ce type d’initiative montre comment la jeunesse peut être soutenue pour transformer ses talents en moteurs de développement durable.
La valorisation de cette jeunesse créative passe par des politiques publiques adaptées, des formations techniques, et un accès facilité aux financements. En soutenant ces talents, l’Afrique investit dans son avenir culturel et économique, tout en affirmant son identité sur la scène internationale.
Le rôle de l’État et des politiques publiques
Le développement durable des industries culturelles et créatives (ICC) en Afrique dépend largement de l’engagement des États et de la mise en place de politiques publiques efficaces. Un cadre légal et fiscal favorable est indispensable pour encourager les investissements, protéger les droits des artistes et des créateurs, et structurer un secteur encore souvent informel.
Plusieurs initiatives panafricaines et nationales illustrent cette dynamique. Par exemple, l’Union africaine a adopté un Plan d’action pour le développement des industries culturelles, qui vise à créer un environnement propice à la croissance économique et sociale par la culture. Ce plan encourage notamment la création de départements dédiés au développement culturel au sein des gouvernements, la formulation de politiques sectorielles durables, la protection des droits d’auteur, ainsi que la facilitation de la circulation des biens et œuvres culturelles entre pays africains.
Au niveau national, certains pays ont déjà mis en place des mesures concrètes pour soutenir leurs artistes et industries culturelles. Le Gabon, par exemple, a lancé un plan d’action quadriennal 2022-2025 pour renforcer l’économie culturelle, en stimulant l’émergence des sous-secteurs créatifs à fort potentiel économique, en améliorant la gouvernance du secteur et en favorisant la résilience post-Covid-19. D’autres pays, comme le Nigeria et l’Afrique du Sud, investissent dans des infrastructures culturelles, des fonds de soutien et des formations professionnelles.
L’éducation artistique et la promotion des langues locales dans les médias jouent également un rôle fondamental pour préserver et valoriser les patrimoines culturels africains. Intégrer la culture dans les programmes scolaires et encourager la production audiovisuelle en langues africaines contribuent à renforcer l’identité culturelle et à diffuser des contenus authentiques.
En résumé, la mise en place de mécanismes de financement adaptés, comme des fonds souverains dédiés aux ICC, la commande publique d’œuvres locales, ou encore des partenariats public-privé, permet de soutenir concrètement les créateurs et producteurs culturels. Ces dispositifs facilitent l’accès aux ressources nécessaires pour produire, distribuer et promouvoir des contenus africains de qualité.
Il faut dire que l’État joue un rôle central non seulement en tant que régulateur et protecteur, mais aussi comme acteur direct du développement culturel, en créant un écosystème favorable à la croissance des industries culturelles et à leur rayonnement international.
Partenariats et intégration régionale
Pour maximiser le potentiel des industries culturelles et créatives (ICC) en Afrique, il est crucial de renforcer la coopération entre les pays africains et de favoriser l’intégration régionale. La mutualisation des ressources, la diffusion de contenus panafricains et la création de partenariats stratégiques sont essentiels pour construire une industrie culturelle forte et compétitive à l’échelle continentale.
La coopération régionale permet de surmonter les défis liés à la production et à la distribution de contenus de qualité. En partageant les infrastructures, les compétences et les financements, les pays africains peuvent mutualiser leurs efforts pour créer des œuvres culturelles qui reflètent la diversité et la richesse du continent. Cette collaboration peut prendre différentes formes, telles que des coproductions cinématographiques, des festivals culturels panafricains, des programmes d’échange d’artistes et de professionnels des médias, ou encore la création de plateformes de diffusion numérique communes.
L’intégration régionale favorise également la diffusion des contenus culturels à travers le continent. En harmonisant les réglementations, en facilitant la circulation des biens et des personnes, et en mettant en place des politiques de soutien aux industries culturelles, les pays africains peuvent créer un marché unique pour les produits culturels africains. Cette approche permet de toucher un public plus large, de renforcer l’identité culturelle africaine et de promouvoir le dialogue interculturel.
La construction d’une industrie culturelle panafricaine est une alternative aux géants mondiaux tels que Netflix, Disney et Spotify. En investissant dans la production de contenus originaux, en soutenant les talents locaux et en créant des plateformes de diffusion adaptées aux réalités africaines, les pays africains peuvent affirmer leur souveraineté culturelle et promouvoir leurs propres récits. Cette démarche nécessite un engagement politique fort, des investissements financiers conséquents et une vision stratégique à long terme.
Les partenariats avec des acteurs internationaux peuvent également jouer un rôle important dans le développement des ICC en Afrique. En collaborant avec des entreprises, des institutions culturelles et des organisations internationales, les pays africains peuvent bénéficier d’un transfert de compétences, d’un accès à de nouveaux marchés et d’un soutien financier. Ces partenariats doivent être équilibrés et avantageux, en veillant à protéger les intérêts des créateurs africains et à promouvoir la diversité culturelle.
Cela dit, l’intégration régionale et les partenariats stratégiques sont des leviers essentiels pour développer les industries culturelles et créatives en Afrique. En travaillant ensemble, les pays africains peuvent créer une industrie culturelle dynamique, innovante et compétitive, qui contribue à la croissance économique, à la création d’emplois et au rayonnement culturel du continent.
Une arme de souveraineté et d’influence douce (soft power)
Dans un monde globalisé, la culture est devenue un outil puissant de « soft power », c’est-à-dire la capacité d’un pays à influencer positivement le reste du monde par son attractivité culturelle, plutôt que par la force militaire ou économique. Les États-Unis, avec Hollywood, et la Corée du Sud, avec la K-pop, sont des exemples emblématiques de cette stratégie. Ils ont su utiliser leurs industries culturelles pour diffuser leurs valeurs, promouvoir leur image et gagner en influence à l’échelle internationale.
L’Afrique peut et doit faire de même. Le continent possède un patrimoine culturel exceptionnel, une créativité débordante et une diversité unique, autant d’atouts qui peuvent être mobilisés pour renforcer son influence sur la scène mondiale. Le cinéma africain, la musique, la mode, la littérature, les arts visuels, les jeux vidéo et bien d’autres formes d’expression culturelle peuvent servir de vecteurs pour diffuser les valeurs africaines, promouvoir le tourisme, attirer les investissements et renforcer les liens avec la diaspora.
Pour cela, il est essentiel de soutenir les industries culturelles africaines, de valoriser les talents locaux, de créer des contenus originaux et de promouvoir la diversité culturelle. Il est également important de mettre en place des politiques publiques qui encouragent la créativité, protègent les droits d’auteur, facilitent l’accès aux financements et favorisent la diffusion des œuvres africaines à l’étranger.
Le divertissement et les médias peuvent être utilisés comme des outils stratégiques de diplomatie culturelle. En organisant des festivals, des expositions, des concerts et d’autres événements culturels à l’étranger, l’Afrique peut mettre en valeur sa richesse culturelle et renforcer son image positive. De même, en soutenant les échanges culturels, les résidences d’artistes et les programmes de coopération, l’Afrique peut favoriser le dialogue interculturel et renforcer les liens avec d’autres pays et régions du monde.
La formation et l’investissement sont au cœur des défis des industries culturelles africaines. Il faut transformer la culture en industrie, créer des entreprises, sécuriser les droits d’auteur et reconnaître le secteur comme un contributeur à l’économie et à la visibilité internationale.
En conclusion, le divertissement et les médias sont bien plus que de simples industries culturelles : ce sont des armes de souveraineté et d’influence douce pour l’Afrique. En investissant dans ces secteurs, le continent peut affirmer son identité, promouvoir ses valeurs et renforcer son rôle dans le monde.