En 2025, les systèmes de santé d’Afrique subsaharienne restent confrontés à des défis majeurs, hérités de décennies de sous-investissement, d’exode du personnel médical et d’une croissance démographique rapide. La région, qui abrite environ 11 % de la population mondiale, supporte 24 % de la charge mondiale de morbidité, tout en ne disposant que de 3 % du personnel médical mondial. Ce déséquilibre structurel se traduit par une offre de soins insuffisante, des déserts médicaux et des taux de mortalité élevés, notamment chez les enfants et les mères.
Inégalités et accès aux soins
Les disparités sont flagrantes entre zones urbaines et rurales, où les déserts médicaux se multiplient. L’accès aux soins repose souvent sur un secteur privé fragmenté, qui assure environ 60 % du financement et 50 % des prestations de santé, y compris pour les populations les plus pauvres. Les systèmes publics, quant à eux, peinent à garantir une couverture universelle, faute de ressources suffisantes et d’une gouvernance efficace. À Abidjan ou Lagos, on trouve des cliniques privées ultramodernes accessibles à une élite, tandis qu’à 100 kilomètres, des dispensaires ruraux manquent de médicaments essentiels et d’électricité. Au Nigeria, pays le plus peuplé du continent, plus de 70% des infrastructures médicales de qualité sont concentrées dans quatre grandes villes, laissant d’immenses régions avec une couverture sanitaire minimale.
Charge de morbidité et maladies prioritaires
La région fait face à un double fardeau : les maladies infectieuses (paludisme, VIH/Sida, tuberculose) restent endémiques, tandis que les maladies non transmissibles (diabète, cancers, maladies cardiovasculaires) progressent rapidement, conséquence de l’urbanisation et des changements de modes de vie. Le Nigeria, par exemple, détient le triste record du plus grand nombre d’enfants décédant avant cinq ans et concentre plus de 25 % des décès mondiaux dus au paludisme.
Déficit d’infrastructures
De nombreux établissements de santé manquent d’équipements de base, de médicaments essentiels et de technologies modernes. L’accès à l’eau potable et à l’assainissement, déterminants pour la santé publique, reste insuffisant dans de nombreuses communautés. Seuls 51% des centres de santé primaires disposent d’eau potable et d’installations sanitaires de base. Plus préoccupant encore, l’Afrique subsaharienne ne compte que 1,3 lit d’hôpital pour 1 000 habitants, un ratio six fois inférieur à la moyenne européenne (6,1 lits). À peine un tiers des dispensaires primaires bénéficie d’une électricité fiable, rendant impossible l’utilisation d’équipements médicaux essentiels ou la conservation de médicaments thermosensibles. L’équipement médical constitue un autre point critique. Le continent ne dispose que de 0,7 appareil d’IRM par million d’habitants, contre 37 aux États-Unis. L’Éthiopie, avec ses 120 millions d’habitants, ne compte que 15 appareils d’IRM fonctionnels, tous situés dans la capitale Addis-Abeba et quelques grandes villes. Ces infrastructures vieillissantes ou incomplètes limitent drastiquement la prise en charge des maladies chroniques.
Pénurie de personnel de santé qualifié
La pénurie de professionnels de santé qualifiés demeure l’un des obstacles majeurs au développement sanitaire de la région. Selon les dernières données de l’OMS, l’Afrique subsaharienne, qui supporte 24% de la charge mondiale de morbidité, ne dispose que de 3% du personnel médical mondial.
Nous formons d’excellents médecins, mais nous ne parvenons pas à les retenir, déplore le Pr. Joseph Mwangi, doyen de la faculté de médecine de Nairobi. Près de 30% de nos diplômés quittent le Kenya dans les cinq ans suivant leur formation.
Cette fuite des cerveaux médicaux s’explique par des facteurs multiples : salaires peu attractifs, conditions de travail difficiles, manque d’opportunités de spécialisation et instabilité politique dans certains pays. Le phénomène s’est intensifié depuis la pandémie de COVID-19, de nombreux pays occidentaux et du Golfe ayant assoupli leurs conditions d’accueil pour les professionnels de santé étrangers. L’exode des cerveaux, le manque de formations adéquates et la mauvaise répartition géographique du personnel médical et paramédical persistent. Les zones rurales et éloignées sont particulièrement touchées, limitant l’accès aux soins pour une partie significative de la population.
Mauvaise gouvernance et corruption
La mauvaise gouvernance et la corruption continuent de miner les efforts d’amélioration des systèmes de santé. Au Cameroun, un scandale a éclaté en 2024 révélant que plus de 30% des fonds alloués à la construction de centres de santé ruraux avaient été détournés. En Ouganda, une enquête parlementaire a mis en lumière l’acquisition d’équipements médicaux à des prix gonflés, parfois trois fois supérieurs aux tarifs du marché.
Le problème n’est pas toujours le manque de ressources, mais leur utilisation inefficace, analyse Emmanuel Osei, économiste de la santé à l’Université de Cape Town. Dans plusieurs pays, les budgets santé existent sur le papier mais sont détournés ou mal gérés.
La maintenance des équipements illustre parfaitement cette problématique : selon une étude de la Banque Africaine de Développement, près de 40% des équipements médicaux sophistiqués sont hors service dans les hôpitaux publics, faute d’entretien adéquat ou de pièces de rechange.
Sous-financement chronique
Les dépenses de santé par habitant en Afrique subsaharienne demeurent parmi les plus faibles au monde. Les budgets nationaux alloués à la santé sont souvent insuffisants, et la dépendance à l’aide extérieure reste importante, rendant les systèmes vulnérables aux fluctuations des priorités des donateurs. Les gouvernements africains consacrent environ 4,5 milliards USD par an aux investissements en infrastructures sanitaires, alors que la BAD estime les besoins réels à près de 26 milliards USD annuels d’ici 2030. Ce déficit colossal explique les projets inachevés et l’entretien insuffisant des établissements existants. Les dépenses publiques de santé ne représentent en moyenne que 1,9% du PIB, bien loin des 5% recommandés par les organismes internationaux. Selon une enquête Afrobarometer 2024, dans certains pays, des patients déclarent avoir dû verser des “pots-de-vin” pour obtenir des soins.
Les paiements informels sont devenus systémiques, confirme Fatou Ndiaye, sociologue de la santé à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Pour obtenir un lit d’hôpital, accélérer une opération ou simplement recevoir des soins de qualité, il faut souvent payer des sommes qui ne figurent dans aucun tarif officiel.
Cette situation affecte particulièrement la prise en charge des maladies chroniques : seuls 5 à 10% des adultes diabétiques en Afrique subsaharienne bénéficient d’un traitement médical adapté. Face à ces carences, un tourisme médical intra-africain se développe. Les classes aisées du Niger ou du Tchad se rendent désormais régulièrement au Maroc ou en Tunisie pour des soins spécialisés. L’Afrique du Sud et le Kenya sont devenus des hubs médicaux régionaux, attirant des patients de toute l’Afrique australe et orientale.
Des initiatives innovantes porteuses d’espoir
Face à la dépendance vis-à-vis des importations, des initiatives visent à développer la production locale de médicaments et de vaccins, renforçant ainsi la souveraineté sanitaire et la capacité de réponse face aux épidémies. Récemment, le Rwanda a accueilli un “BioNtainer”, un laboratoire mobile de BioNTech, pour produire localement des vaccins à ARNm.
Toujours au Rwanda, les drones électriques télécommandés de Zipline permettent de livrer des médicaments, poches de sang et matériel médical à des hôpitaux isolés, avec des notifications par SMS aux destinataires. Cette initiative, testée avec succès, est un modèle pour d’autres pays. La Banque africaine de développement soutient des plans d’action pour le secteur pharmaceutique, encourageant la recherche, le développement et la fabrication sur le continent. Au Nigeria, le gouvernement fédéral a approuvé la construction de plus de 8 800 centres de soins de santé primaires à travers le pays. Cette initiative vise à améliorer l’accès aux soins de santé de base, en particulier dans les zones rurales et mal desservies. Des solutions d’apprentissage en ligne comme le PedROC (Pediatric Radiation Oncology Course) organisé par la Dorcas Cancer Foundation en partenariat avec l’Association des radio-oncologues et cliniciens du Nigéria (ARCON), permettent de former au Nigeria des étudiants en oncologie, renforçant les capacités locales face à la pénurie de spécialistes. La télémédecine connaît un développement fulgurant, notamment dans les zones rurales difficiles d’accès. Au Kenya, le programme “Daktari Smart”, lancé en novembre 2021 par Gertrude’s Children’s Hospital, en partenariat avec la M-PESA Foundation, Safaricom PLC et plusieurs gouvernements de comté, vise à fournir des soins spécialisés gratuits à environ 32 400 enfants dans des comtés tels que Samburu, Baringo, Lamu et Homabay . Il prévoit également de renforcer les capacités de plus de 300 agents de santé ruraux grâce à la formation et à l’utilisation d’équipements médicaux connectés.
Toujours au Kenya, M-Tiba, la plateforme de CarePay, permet à plus de 4 millions d’utilisateurs kenyans de souscrire une assurance santé et de payer leurs soins via leur téléphone, renforçant la couverture santé dans un pays où 93 % de la population en était dépourvue il y a peu.
Au Burkina Faso avec le soutien de la Banque islamique de développement et du Fonds Lives and Livelihoods, le gouvernement a mis en service 15 cliniques mobiles pour apporter des soins directement aux populations isolée. Ces cliniques sont conçues pour être autonomes, avec des générateurs électriques, des tentes pliables pour les consultations et des zones dédiées à l’accueil, à la mammographie et aux consultations gynécologiques.
Les meilleurs systèmes de santé en Afrique
Les systèmes de santé sont généralement inférieurs aux normes en Afrique par rapport à d’autres parties du monde. Ainsi, des millions d’Africains se lancent dans le tourisme médical à l’étranger à la recherche de soins médicaux de qualité. Il est prudent d’affirmer ici que les Africains dépensent tellement pour cette “aventure médicale”. Par exemple, des données récentes publiées par la Banque centrale du Nigéria montrent que les Nigérians ont dépensé environ 11,01 milliards de dollars en tourisme médical au cours des 10 à 11 dernières années. En 2022 par exemple, le président Buhari s’est déplacé souvent à Londres pour se faire soigner.
Cependant, certains pays africains s’en sortent mieux en termes de systèmes de santé que d’autres, sur la base des données obtenues du NUMBEO. L’indice des soins de santé en tant qu’estimation de la qualité globale du système de soins de santé, des professionnels de la santé, de l’équipement, du personnel, des médecins, des coûts, etc. L’indice des soins de santé donne une mesure unique de l’état du système de santé de chaque pays.
Sur la base de cet indice, l’Afrique du Sud a le meilleur système de santé avec un indice de 63,97. Après l’Afrique du Sud à la deuxième place, le Kenya avec un score de 63,40. Suivi de la Tunisie (56,54), l’Algérie (52,88), le Nigéria (48,49), l’Égypte (47.01) et le Maroc (47.01). Le Rwanda, la Tanzanie et la Zambie complètent le classement.
Défis et perspectives
En comparaison avec d’autres régions émergentes, l’Afrique subsaharienne accuse un retard significatif. L’Asie du Sud-Est a connu en deux décennies une transformation radicale de ses infrastructures de santé. La Thaïlande, le Vietnam ou la Malaisie sont même devenus des destinations privilégiées du tourisme médical mondial, offrant des soins de qualité à des tarifs compétitifs. Les experts s’accordent sur un point : au-delà des infrastructures et des équipements, c’est la gouvernance qui constitue le principal défi. Les pays ayant progressé, comme le Rwanda ou le Botswana, ont tous mis en place des mécanismes rigoureux de gestion des ressources sanitaires et de lutte contre la corruption. Dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, comme le Nigeria ou le Kenya, la construction de centres de santé modernes progresse, mais reste insuffisante pour répondre à la demande croissante d’une population en expansion. Les défis persistent en matière de ressources humaines, d’équipements de pointe et d’accessibilité, notamment en zones rurales et périphériques. Les investissements doivent se poursuivre et s’intensifier pour garantir un accès équitable et de qualité aux soins pour l’ensemble des populations.