Si les organisations non gouvernementales (ONG) sont souvent présentées comme les fers de lance de la solidarité internationale en Afrique, la réalité de leur impact sur le terrain mérite un examen plus nuancé. Entre aide véritable et nouvelles formes de dépendance, entre annonces médiatiques et résultats concrets, le secteur humanitaire en Afrique soulève des questions fondamentales sur ses méthodes, ses motivations et son efficacité réelle.
L’ambiguïté des missions : entre humanitaire et géopolitique
Nous ne faisons pas de politique, seulement de l’humanitaire, affirment généralement les ONG présentes sur le continent africain.
Pourtant, la frontière entre aide et ingérence reste souvent poreuse.
Selon un rapport de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), près de 40% des grandes ONG internationales opérant en Afrique reçoivent des financements significatifs de gouvernements occidentaux, soulevant la question de leur indépendance réelle.
Dans plusieurs pays, la méfiance envers les ONG internationales est à son comble, surtout lorsqu’elles abordent des sujets jugés sensibles : droits humains, transparence électorale, lutte contre la corruption… En Éthiopie, au Nigeria ou récemment au Burkina Faso, des ONG de premier plan ont été suspendues, accusées d’atteinte à la sécurité nationale, de collusion avec des groupes rebelles, ou encore d’“ingérence politique”.
Au Niger, en 2023, la suspension d’une ONG humanitaire française a fait la une : les autorités lui reprochaient de “déstabiliser le tissu social” en apportant une aide “orientée politiquement”. Cette vague de suspensions s’est accompagnée de lois restreignant drastiquement l’enregistrement, le financement et la liberté d’action des ONG étrangères, mais aussi nationales.
Loin d’être toujours neutres et apolitiques comme elles le prétendent souvent, les ONG sont soumises à des enjeux divers et parfois controversés. En effet, leur existence et leur fonctionnement sont influencés par une variété de facteurs politiques.
Certains États ou multinationales utilisent les ONG comme leviers d’influence pour servir leurs intérêts stratégiques. Par exemple, des bailleurs de fonds internationaux imposent des agendas politiques à travers leurs financements, orientant les actions des ONG vers des priorités qui correspondent davantage à leurs objectifs qu’aux besoins réels des populations. Cette situation est particulièrement visible dans des contextes de conflits ou de tensions politiques, où l’aide humanitaire peut devenir un outil de légitimation ou de pression.
L’opacité financière : où va réellement l’argent des donateurs ?
Le secteur humanitaire en Afrique brasse des milliards d’euros chaque année, mais la transparence sur l’utilisation effective des fonds reste problématique. Selon une analyse du Financial Times publiée en 2023, certaines grandes ONG internationales consacrent jusqu’à 60% de leur budget à des coûts administratifs, logistiques et salariaux, laissant parfois moins de la moitié des fonds collectés pour les bénéficiaires finaux.
Si nombre de ces organisations sont fondées avec de nobles intentions, lutter contre la pauvreté, améliorer les soins de santé et autonomiser les communautés, une tendance inquiétante ne peut être ignorée. Certaines ONG dirigées par des étrangers deviennent des vecteurs d’enrichissement personnel, de mauvaise gestion et, à terme, de faillite, laissant le personnel local au chômage et les communautés qu’elles servent dans une situation pire qu’auparavant.
L’écart salarial entre personnel expatrié et local illustre particulièrement cette disparité.
Quand l’aide devient business
Le schéma est familier : un ressortissant étranger arrive dans un pays africain, crée une ONG, obtient des financements auprès de donateurs internationaux et commence à mettre en œuvre des projets. Initialement, l’organisation gagne en popularité et en visibilité, attirant souvent l’attention des médias et des éloges. Cependant, en coulisses, une mauvaise gestion des fonds et des structures de gouvernance défaillantes s’installent. Les fonds destinés aux projets communautaires sont détournés par des coûts de fonctionnement gonflés, des voyages de luxe et des salaires élevés des dirigeants. Lorsque les fonds se tarissent ou que des scandales éclatent, les fondateurs et les cadres expatriés disparaissent souvent, laissant l’organisation à l’abandon et les employés locaux sans emploi.
Études de cas de mauvaise gestion des ONG en Afrique
Invisible Children (Ouganda)
Surtout connue pour la campagne « Kony 2012 », cette ONG dirigée par les États-Unis a attiré l’attention du monde entier grâce à ses efforts pour capturer Joseph Kony. Cependant, l’organisation a été vivement critiquée pour sa mauvaise gestion des fonds, seule une petite partie des dons parvenant sur le terrain. Les fondateurs ont été accusés de dépenser excessivement en salaires, en tournées promotionnelles et en produits dérivés au lieu de soutenir directement les victimes de l’Armée de résistance du Seigneur. Suite à cette réaction négative, l’organisation a réduit ses effectifs et a fini par disparaître, laissant son personnel ougandais seul.
GiveDirectly (Kenya et Ouganda)
Bien que GiveDirectly ait été le pionnier des transferts monétaires directs aux particuliers, des rapports ont fait état de coûts opérationnels élevés, de salaires du personnel gonflés et d’une distribution inefficace des fonds. La confiance des donateurs ayant faibli, l’organisation a réduit ses activités et de nombreux employés locaux ont été licenciés sans indemnité.
GlobeMed (Malawi)
Cette ONG axée sur la santé, fondée par des étudiants américains, visait à améliorer la santé maternelle. Cependant, un audit interne a révélé des irrégularités financières et des détournements de fonds vers des comptes personnels. Les fondateurs se sont brusquement retirés, laissant le personnel médical local sans salaire et les établissements de santé sous-équipés.
Ces scandales ont des conséquences dramatiques au-delà de la corruption. Quand les bailleurs de fonds suspendent brutalement leur aide suite à ces révélations, ce sont les populations les plus vulnérables qui en pâtissent.
Les résultats des ONG en Afrique restent mitigés
Les ONG doivent rivaliser pour accéder à des financements limités, que ce soit auprès de donateurs privés ou de bailleurs institutionnels comme ECHO ou USAID. Cette course aux ressources pousse chaque organisation à prouver sa réactivité, son efficience et ses résultats, afin de garantir la pérennité de ses activités. Cette logique pousse certaines structures à privilégier des actions à fort impact médiatique plutôt que des programmes moins visibles mais potentiellement plus efficaces sur le long terme.
Malgré des décennies de présence et des milliards investis, les résultats restent mitigés. La pression des bailleurs pour des résultats rapides pousse à privilégier les actions spectaculaires mais superficielles. Construire une école fait de belles photos pour les donateurs, mais former les enseignants et assurer la maintenance à long terme intéresse moins les financeurs.
Certains critiques affirment que les ONG sont plus responsables envers leurs bailleurs de fonds qu’envers ceux qu’elles servent. Étant largement dépendantes des financements, leurs projets sont élaborés en fonction des préférences des donateurs plutôt que des communautés locales qu’elles sont censées servir.
Le néocolonialisme bienveillant
Les pays occidentaux sont dépendants des ressources de l’Afrique, et pourtant, ils perpétuent l’image d’une Afrique qui dépend de leur aide. C’est un tableau peint en nuances de post-colonialisme, où les ONG occidentales telles qu’Oxfam, Save the Children, la Croix-Rouge et Life Aid jouent un rôle ambigu. Ces organisations, bien qu’elles fassent preuve de nobles intentions, perpétuent l’image d’une Afrique dépendante, impuissante et nécessitant de l’aide.
Les campagnes publicitaires coûteuses de ces organisations ont pour effet de distordre la perception de l’Afrique. Elles mettent en scène des enfants affamés et des femmes pleurant, des villages dévastés par les maladies, le tout enveloppé dans un narratif de la misère africaine qui nécessite la pitié et la charité de l’Occident. Paradoxal, lorsque l’on considère que, pour chaque dollar d’aide internationale reçu, dix dollars quittent le continent via ces flux financiers illicites. Cela signifie que l’aide internationale est largement compensée (et dépassée) par l’évasion fiscale et la fuite des capitaux orchestrée par les multinationales.
La question de la structure néocoloniale des ONG est un autre sujet majeur de préoccupation. Derrière ce masque de charité et de solidarité se cache une réalité plus dure : l’exploitation continue des ressources africaines par l’Occident. Si l’Afrique était véritablement prospère, elle vendrait ses ressources au juste prix du marché, ce qui menacerait les économies occidentales, qui dépendent depuis longtemps des ressources africaines bon marché acquises grâce à des pratiques d’exploitation coloniale. La surexploitation et la déstabilisation de l’Afrique par l’Occident perpétuent un système de dépendance qui entrave un développement véritable et une prospérité partagée.
Le passé colonial de l’Afrique joue toujours un rôle déterminant dans les relations économiques contemporaines avec l’Occident. L’ancien président français Jacques Chirac a publiquement reconnu l’exploitation financière de l’Afrique par la France, soulignant ainsi comment l’exploitation de l’Afrique a contribué à la puissance mondiale de l’Occident.
Aujourd’hui, leur travail contribue marginalement au soulagement de la pauvreté, mais sape la lutte des peuples africains pour s’émanciper de l’oppression économique, sociale et politique.
Aujourd’hui, les pays occidentaux évitent toute forme d’interventionnisme en Afrique qui puisse rappeler l’impérialisme colonial. Donc ils délèguent ses missions impérialistes aux ONG. Les réseaux mondialistes concoctés à partir des pays occidentaux sont de moins en moins influents en Afrique, ils essaient alors de contourner ces difficultés en passant par les ONG.
Le rôle des ONG africaines dans tout ça
Si les ONG internationales disposent généralement d’un accès privilégié aux financements et à la visibilité médiatique, leurs homologues africaines peinent souvent à se faire entendre, malgré leur connaissance approfondie du terrain.
Selon une étude de la Fondation Mo Ibrahim, moins de 2% des financements humanitaires internationaux pour l’Afrique sont directement attribués à des organisations locales, malgré les engagements répétés d’inverser cette tendance.
Vers une refondation nécessaire
- Donner la priorité au leadership local – Les ONG opérant en Afrique doivent être dirigées et gérées par des professionnels locaux qui comprennent le paysage culturel et sociopolitique.
- Surveillance financière transparente – Les donateurs internationaux doivent exiger une plus grande transparence, avec des audits indépendants et des rapports clairs sur l’allocation des fonds.
- Renforcement des capacités plutôt que dépendance – Les ONG étrangères devraient se concentrer sur le renforcement des capacités locales plutôt que sur le maintien d’opérations permanentes dirigées par des étrangers.
- Solutions centrées sur la communauté – Les communautés locales doivent être impliquées dans la prise de décision dès la base pour garantir que les projets reflètent les besoins réels.
- Stratégies de sortie – Les ONG doivent disposer de plans de sortie clairs qui garantissent la durabilité, permettant aux partenaires locaux de prendre le relais lorsque le personnel étranger part.