Espionnage industriel : la stratégie de la Chine

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Depuis plusieurs décennies, la Chine a développé une stratégie d’acquisition de technologies avancées pour soutenir son développement économique et technologique. Cette approche, qui inclut des pratiques d’espionnage industriel, de cyberespionnage et d’intelligence économique, s’inscrit dans un effort plus large pour réduire la dépendance du pays aux innovations étrangères et renforcer sa position sur la scène mondiale.

Un effort pour combler un retard technologique

À partir des années 1980, sous l’impulsion des réformes de Deng Xiaoping, la Chine a pris conscience de son retard technologique par rapport aux puissances industrielles, notamment les États-Unis, l’Europe et le Japon. À cette époque, le pays dépendait fortement des technologies étrangères : en 2006, environ 70 % des brevets utilisés en Chine provenaient de l’étranger. Pour accélérer son développement et réduire cette dépendance, la Chine a mis en place des politiques visant à acquérir des savoir-faire technologiques, combinant innovation interne, partenariats internationaux et, dans certains cas, des pratiques d’espionnage industriel.

Le ministère de la Sécurité d’État (MSE), créé en 1983, joue un rôle clé dans la collecte de renseignement à l’étranger. Depuis les années 2000, ce service a renforcé ses capacités avec des infrastructures modernes, comme des bases d’interception et des équipements dans les postes diplomatiques. Parallèlement, des groupes de hackers, parfois liés à l’État, ont été associés à des cyberopérations visant à collecter des données technologiques sensibles. Ces efforts s’inscrivent dans une stratégie plus large visant à positionner la Chine comme un leader dans des secteurs stratégiques tels que l’aérospatial, les semi-conducteurs, la pharmacie ou l’intelligence artificielle.

Cette stratégie reflète une volonté de souveraineté technologique, un objectif que de nombreux pays africains partagent face aux dynamiques de dépendance technologique héritées de l’histoire coloniale. La Chine, en tant que nation ayant surmonté des défis similaires, peut être vue comme un exemple, bien que certaines de ses méthodes soulèvent des débats éthiques et juridiques.

Méthodes d’acquisition technologique : une approche diversifiée

La Chine utilise une combinaison de méthodes pour accéder à des technologies avancées, allant de pratiques légales à des approches controversées. Ces méthodes incluent :

  • Cyberespionnage : Des groupes de hackers, comme APT10 ou APT41, ont été associés à des opérations visant à collecter des données sensibles auprès d’entreprises, d’universités ou d’institutions étrangères. Par exemple, des techniques comme la stéganographie (dissimulation de données dans des fichiers numériques) ont été utilisées pour extraire discrètement des informations.
  • Collaboration humaine : Des étudiants, chercheurs ou employés chinois travaillant à l’étranger ont parfois été impliqués dans le transfert de connaissances technologiques, parfois de manière légale via des collaborations scientifiques, parfois dans des contextes plus controversés. Un exemple notable est l’affaire Xu Yanjun, un officier du MSE condamné aux États-Unis pour avoir tenté d’obtenir des secrets industriels dans le secteur aéronautique.
  • Intelligence économique légale : La Chine a développé des mécanismes légaux pour collecter des informations, comme des partenariats industriels, des acquisitions d’entreprises étrangères ou des programmes de recherche conjoints. Ces pratiques, courantes dans de nombreux pays, complètent les approches clandestines.
  • Réseaux informels : Des réseaux d’acteurs non étatiques, tels que des entreprises privées ou des citoyens, participent parfois à la collecte d’informations, bien que leur lien direct avec l’État soit souvent difficile à établir.

Ces méthodes visent des secteurs clés comme l’aérospatial, les nanotechnologies, la bio-ingénierie ou les semi-conducteurs, essentiels pour le développement industriel et la compétitivité mondiale.

Objectifs de la stratégie chinoise

La stratégie d’acquisition technologique de la Chine répond à plusieurs objectifs :
Accélérer le développement économique : En accédant à des technologies avancées, la Chine réduit les coûts et les délais de recherche, ce qui lui permet de progresser rapidement dans des secteurs stratégiques. Par exemple, des technologies aéronautiques, comme les turbines à gaz, ont été ciblées pour améliorer les capacités industrielles chinoises.

  • Réduire la dépendance technologique : En développant ses propres capacités, la Chine cherche à s’affranchir des restrictions imposées par les puissances occidentales, comme les sanctions sur les semi-conducteurs. Cette quête d’autonomie est un enjeu partagé par de nombreux pays du Sud global, y compris en Afrique.
  • Renforcer la position géopolitique : La maîtrise des technologies clés est un levier pour accroître l’influence mondiale de la Chine, notamment à travers des initiatives comme les « nouvelles routes de la soie ». Cet objectif s’aligne avec l’ambition de devenir une puissance technologique de premier plan d’ici 2049, marquant le centenaire du Parti communiste chinois.

Ces objectifs reflètent une vision stratégique de long terme, qui peut inspirer des discussions en Afrique sur la manière de développer des industries nationales tout en naviguant dans un monde technologiquement compétitif.

Impacts et réponses internationales

Les pratiques d’acquisition technologique de la Chine ont des répercussions significatives sur les économies mondiales et suscitent des réponses variées.

Les pays occidentaux estiment que le transfert non autorisé de technologies prive leurs entreprises d’un avantage concurrentiel. Par exemple, General Electric a signalé la perte de données sensibles sur des turbines aéronautiques. Ces pertes augmentent les coûts de cybersécurité pour les entreprises et peuvent freiner la collaboration internationale.

Les États-Unis et l’Union européenne ont renforcé leurs mesures de protection, notamment par des poursuites judiciaires (comme celle de Xu Yanjun), des restrictions à l’exportation de technologies sensibles et des investissements dans la cybersécurité. Ces mesures visent à limiter l’accès de la Chine à certaines technologies, mais elles soulèvent aussi des tensions commerciales.

La Chine rejette souvent les accusations d’espionnage, les qualifiant de tentatives de freiner son développement. Pékin argue que les restrictions technologiques occidentales, comme celles visant Huawei, justifient ses efforts pour développer une industrie autonome. Cette dynamique rappelle les défis auxquels les pays africains sont confrontés lorsqu’ils cherchent à accéder à des technologies avancées tout en faisant face à des pressions internationales

Une dynamique globale à comprendre

La stratégie chinoise d’acquisition technologique illustre les complexités de la compétition mondiale pour la maîtrise des technologies. En combinant des approches légales et controversées, la Chine cherche à combler son retard historique, à renforcer son économie et à accroître son influence géopolitique. Ces efforts, bien que critiqués par certains, reflètent une quête d’autonomie technologique qui trouve un écho dans de nombreux pays du Sud global, y compris en Afrique.

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