Joseph Ki-Zerbo considère l’éducation comme un moyen essentiel de donner aux Africains les outils pour façonner leur propre destin. Il plaidait pour un système éducatif piloté par les Africains, adapté à leur contexte culturel et à leurs besoins pratiques. Pour lui, l’éducation est bien plus que l’acquisition de connaissances, c’est plutôt une préparation à un rôle significatif dans la société et une arme pour s’opposer à la domination extérieure.
Dans Éduquer ou périr, Joseph Ki-Zerbo explore les enjeux de l’éducation en Afrique, la qualifiant d’élément crucial pour le développement et la survie des sociétés africaines. Visionnaire, il a plaidé pour une revitalisation du système éducatif africain, mettant l’accent sur la démocratisation, l’africanisation et l’inclusion des femmes.
Le livre se concentre sur les défis et les échecs des systèmes éducatifs hérités de la colonisation, qui sont souvent inadéquats pour répondre aux besoins spécifiques des peuples africains. Ki-Zerbo soutient que l’éducation ne doit pas simplement transmettre des connaissances, mais aussi s’adapter aux réalités culturelles, sociales et économiques de l’Afrique. Il critique l’importance excessive accordée aux diplômes académiques déconnectés des réalités africaines, soulignant l’importance d’une éducation alignée sur les besoins du marché du travail et du développement du continent.
Ki-Zerbo approfondit en soulignant les contradictions dans les systèmes éducatifs africains, qui ont souvent été conçus pour répondre aux besoins des anciens colonisateurs plutôt qu’à ceux des populations locales. Cette éducation “importée” pousse les étudiants africains vers une vision du monde et un mode de vie occidentaux, les déconnectant de leurs propres racines culturelles. Pour lui, il est impératif de créer une éducation de proximité, en phase avec les réalités locales, qui puisse valoriser les langues africaines et les connaissances traditionnelles.
Il met en avant l’idée que l’éducation, au lieu de servir un modèle universel imposé de l’extérieur, devrait favoriser un modèle adapté localement, visant à renforcer l’identité culturelle et à encourager l’autonomie.
Joseph Ki-Zerbo développe plusieurs arguments principaux pour souligner la nécessité d’une transformation profonde de l’éducation en Afrique. Voici un détail de ces points fondamentaux :
Critique de l’éducation héritée de la colonisation
Ki-Zerbo affirme que les systèmes éducatifs en Afrique sont largement des héritages coloniaux, conçus pour former des auxiliaires de l’administration coloniale. Selon lui, cette éducation standardisée et importée est inadaptée aux réalités africaines : elle privilégie un modèle intellectuel abstrait, coupé des contextes sociaux et culturels locaux. Il décrit comment cette éducation impose des valeurs et des modes de pensée occidentaux, créant un fossé entre les étudiants et leurs communautés, tout en dévalorisant les savoirs autochtones.
Déconnexion entre l’éducation et les réalités africaines
Ki-Zerbo insiste sur le fait que l’éducation actuelle ne répond pas aux besoins réels de développement du continent. Par exemple, il souligne que les programmes sont trop théoriques et souvent orientés vers des disciplines qui n’ont pas d’impact immédiat sur les conditions de vie des Africains. L’éducation, selon lui, devrait être davantage axée sur des compétences pratiques et des connaissances locales, permettant aux étudiants de participer activement à des projets de développement rural, de santé publique, ou de gestion des ressources naturelles, qui sont vitaux pour les communautés.
L’importance de la langue et de la culture dans l’éducation
Un autre argument fondamental de Ki-Zerbo est l’importance de valoriser les langues et cultures africaines dans le système éducatif. Il critique l’imposition des langues européennes comme langue d’enseignement, qui crée une barrière supplémentaire entre les étudiants et le savoir. Il propose une éducation bilingue ou multilingue où les langues africaines jouent un rôle central, permettant aux enfants de commencer leur apprentissage dans leur langue maternelle, avant d’intégrer des langues internationales. Cette approche, selon lui, renforcerait l’identité culturelle et favoriserait une meilleure compréhension des contenus éducatifs.
Éducation comme outil de libération et de développement autonome
Ki-Zerbo voit l’éducation comme un moyen de libération, permettant aux Africains de prendre en main leur propre développement sans dépendre de l’aide étrangère ou de modèles importés. Il préconise une éducation qui stimule l’esprit critique et la créativité, qui pousse les Africains à devenir des acteurs de leur propre avenir. En prenant comme exemple les luttes pour l’indépendance, il montre comment une éducation émancipatrice peut préparer les jeunes à lutter pour leurs droits et à participer activement à la transformation de leur société.
Rôle de l’éducation dans la résilience face aux défis contemporains
Dans un monde en mutation rapide, Ki-Zerbo insiste sur le fait que l’Afrique doit adapter son système éducatif pour faire face aux défis tels que la mondialisation, les crises écologiques, et les inégalités économiques. Il propose une éducation qui aborde les problématiques actuelles et forme des citoyens capables de réagir aux crises locales et globales. En particulier, il suggère de mettre en place des programmes éducatifs axés sur la gestion des ressources naturelles, l’écologie, et l’entrepreneuriat, pour que les jeunes Africains puissent jouer un rôle actif dans le développement durable de leur continent.
Transformation de l’éducation comme prérequis pour l’indépendance économique et politique
Ki-Zerbo considère la réforme de l’éducation comme un fondement essentiel pour atteindre l’indépendance économique et politique de l’Afrique. Il explique que, tant que les Africains resteront dépendants des savoirs et technologies importés, leur autonomie réelle sera compromise. Il appelle donc à une “africanisation” des contenus éducatifs pour que les Africains puissent se réapproprier leur histoire, leur culture, et les moyens de leur développement.
Pourquoi la science et la technologie ne ” mordent-elles” pas vraiment en Afrique ?
Ki-Zerbo pointe ensuite du doigt plusieurs obstacles spécifiques en Afrique. D’une part, il critique le système éducatif qui ne forme pas suffisamment d’ingénieurs et de scientifiques. D’autre part, il note un manque d’investissement dans la recherche et le développement. Il insiste sur le fait que les progrès scientifiques et technologiques ne sont pas le privilège d’un continent ou d’une culture, mais dépendent de conditions historiques et d’un environnement favorable.
Selon Ki-Zerbo, l’environnement général ne favorise pas l’essor d’une culture scientifique et technologique endogène; par exemple, quand on continue à importer en bloc des ” usines clés en mains” ou ” produits en mains”, quand la maîtrise du progrès technique ne se fait pas sur place à travers la production autochtone des outils de production, quand les découvertes ne peuvent pas s’exprimer sur le marché faute de soutien officiel ou de marché.
Ki-Zerbo explique qu’en réalité, l’essor d’une dynamique autonome dans le progrès scientifique et technique implique de nombreuses conditions non réalisées dans l’Afrique aujourd’hui et dont la plupart ne sont pas d’ordre scolaire: il s’agit de la synergie active entre un bloc industriel autocentré et coopératif, une recherche de développement, une formation branchée sur les deux précédents secteurs, une stratégie politique résolue et constante, un climat général de curiosité scientifique et un engouement pour le changement technologique.
“Éduquer ou périr”
L’appel lancé par Ki-Zerbo dans son ouvrage est un cri de ralliement pour les Africains afin de reconnaître le rôle vital de l’éducation dans leur avenir collectif. Négliger l’éducation, selon lui, conduirait à la stagnation, à la dépendance et à la perpétuation de l’exploitation par des forces extérieures. Cette mise en garde reste d’actualité aujourd’hui, alors que l’Afrique continue de chercher des solutions aux défis contemporains.
Aujourd’hui, les enseignements de Joseph Ki-Zerbo restent plus pertinents que jamais alors que l’Afrique cherche à façonner ses sociétés et à relever les défis du monde moderne.
Selon Ki-Zerbo
Une démographie non assise sur une économie et une éducation vigoureuses risque néanmoins de faire du continent africain un client permanent de la soupe populaire internationale, et d’augmenter le nombre des laissés-pour-compte.
Dans le cas de l’éducation, il est navrant que les groupes sociaux qui comptent le plus dans la production de la valeur ajoutée en matière de biens et de services, à savoir les femmes et les paysans, soient justement les moins bien partagés dans la sphère de l’éducation.
Joseph Ki-Zerbo était un fervent défenseur des droits des femmes et de l’égalité des sexes en Afrique. Il a reconnu le rôle crucial des femmes dans l’éducation de la prochaine génération et plaidait pour un accès égal à l’éducation et aux opportunités. Son travail d’historien et ses contributions aux politiques éducatives ont contribué au développement d’un sentiment de fierté et d’identité culturelle chez les Africains, les encourageant à célébrer leur histoire, leurs traditions et leurs langues.
L’éducation est une fonction de reproduction et de dépassement social indispensable au progrès de tout pays. Quand cette fonction est abolie, il se produit un dépérissement profond dans le métabolisme de base de la société. C’est le cas en Afrique, où l’école, au lieu de reproduire les sociétés à un niveau supérieur, contribue à les mettre en pièces détachées. L’appareil éducatif, au lieu d’être un moteur, est une bombe à retardement qui, compte tenu de la flambée démographique, épuise les ressources économiques sans contrepartie suffisante, désintègre les structures sociales et stérilise les cultures.
L’école africaine peut-elle offrir des diplômés adaptés au marché de l’emploi quand ce dernier est inélastique ou inexistant?
L’éducation est un droit, mais surtout un devoir pour tous. Elle est indispensable à toutes les opérations de développement. Mais elle ne sera à la hauteur des enjeux de demain, qu’en assumant tout le patrimoine historique et en occupant tout l’espace géographique et social, grâce à une stratégie de démocratisation et d’africanisation ouverte aux apports positifs du monde.
Plus qu’un défi, c’est une ardente obligation.