Pourquoi la Chine rachète tous les ports de la planète ?

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Le phénomène est devenu évident au fil des deux dernières décennies : la Chine investit massivement dans les infrastructures portuaires partout dans le monde. De Djibouti à l’Amérique latine, en passant par l’Europe et l’Afrique, l’Empire du Milieu s’impose dans plus d’une centaine de ports mondiaux. Mais pourquoi cette stratégie est-elle si centrale dans la géopolitique chinoise ? Pourquoi la Chine rachète tous les ports de la planète ?

Le transport maritime, nerf du commerce mondial

Le transport maritime représente environ 90% des échanges commerciaux à l’échelle globale. La Chine, qui construit la moitié des navires commerciaux mondiaux, possède ainsi une capacité quasi-unique à dominer le commerce des marchandises par la mer. Outre la construction navale, 95% des conteneurs sont fabriqués en Chine, une emprise quasi totale sur la chaîne logistique maritime.

La stratégie des “nouvelles routes de la soie”

Depuis 20 ans, la Chine déploie la Belt and Road Initiative (BRI), un gigantesque projet d’infrastructures visant à moderniser et connecter les grandes voies commerciales terrestres et maritimes. Cette stratégie englobe 129 ports au niveau mondial, dont plusieurs portails stratégiques dans des régions clé comme le canal de Suez, Djibouti, ou encore des ports européens comme Marseille, Le Havre et Dunkerque.

L’objectif de cette politique est clair : redéfinir les routes du commerce mondial pour sécuriser ses flux, tout en stimulant son influence économique.

L’enclavement stratégique de la Chine et le dilemme de Malacca

Malgré sa façade maritime importante, la Chine est géopolitiquement “encerclée” par des bases militaires américaines, notamment via la stratégie des chaînes d’îles. Un point faible crucial est son accès restreint à l’océan Indien, d’où proviennent 90% de ses importations énergétiques (pétrole et gaz), transitant par un passage étroit, le détroit de Malacca. Ce goulet d’étranglement maritime, un des plus fréquentés au monde, représente un véritable point de vulnérabilité : en cas de coupure, la dépendance énergétique chinoise serait sévèrement affectée.

Cette menace connue sous le nom de “dilemme de Malacca” pousse la Chine à sécuriser des ports stratégiques pour diversifier ses routes commerciales et ses approvisionnements.

Une expansion planétaire avec une logique précise

L’implantation chinoise dans les ports suit une logique géographique autour des points de passage obligés (“chokepoints”) : détroits de Malacca, Gibraltar, Bab-el-Mandeb (au large de Djibouti). Par exemple, à Djibouti, la Chine détient près d’un quart du port de la capitale et a installé sa première base militaire à l’étranger en 2017, soulignant l’importance géostratégique du site.

Ces ports ne servent pas seulement des intérêts commerciaux mais garantissent un accès privilégié, rapide et sécurisé aux marchandises chinoises.

Combiner commerce, infrastructures et influence locale

Au-delà de la stricte logistique, la Chine investit dans les infrastructures portuaires pour développer des alliances économiques, notamment dans des pays à fort potentiel mais financièrement vulnérables : le Pérou, l’Afrique subsaharienne, l’Amérique latine. Ces investissements massifs (multiplication par 22 des flux en América latine en 20 ans) compensent l’effacement relatif des partenaires occidentaux dans ces régions.

La Chine propose des solutions “clé en main” (construction rapide, facilités de paiement), sans conditions politiques lourdes sur la démocratie ou la gouvernance, ce qui séduit des gouvernements souvent en difficulté financière.

Risques et “diplomatie de la dette”

Toutefois, cette politique n’est pas exempte de limites. Certains mégaprojets portuaires se révèlent “éléphants blancs” — trop grands, trop coûteux, peu rentables. Exemple emblématique : le port de Hambantota au Sri Lanka, concédé à la Chine pour 99 ans après que le pays n’ait pas pu rembourser ses dettes.

Ces cas soulèvent la question d’une possible “diplomatie de la dette”, où le défaut de paiement entraîne une perte de contrôle des infrastructures stratégiques, et une forme d’influence politique indirecte.

La Chine face aux États-Unis et aux réactions internationales

Cette montée en puissance chinoise inquiète particulièrement les États-Unis, qui ont intensifié les barrières douanières et cherchent à contenir la BRI. Cependant, la Chine a diversifié ses marchés pour réduire sa dépendance économique à l’égard de l’Oncle Sam (de 22% à 14% des exportations vers les USA depuis 2000). Cela lui donne une marge de manœuvre pour poursuivre sa politique d’investissement global.

En Europe, certains ports, comme Hambourg, ont vu leur prise de participation chinoise freinée, ce qui traduit une prise de conscience de cette expansion.

Quel rôle militaire pour les ports chinois ?

Si la Chine dispose d’une base militaire à Djibouti, il n’est pas certain que ses investissements portuaires aient pour vocation première un usage militaire. Les experts estiment que la Chine a surtout besoin de stabilité économique pour faire tourner son commerce, et que d’installer des navires militaires dans ses ports extraterritoriaux risquerait plus de fragiliser ces pays qu’autre chose.

La dépendance mondiale au “made in China” et la complexité des relations

Enfin, le développement portuaire chinois illustre la profonde intégration de la Chine dans l’économie mondiale. Il est aujourd’hui difficile d’imaginer un commerce global sans la Chine, tant ses produits et services sont ancrés dans la vie quotidienne partout. C’est ce “petit train infernal” de l’économie des échanges maritimes qui soulève autant de défis politiques que économiques, et où aucun acteur, ni la Chine ni ses partenaires, ne peuvent s’extraire facilement.

Conclusion

La stratégie chinoise de rachat et d’investissement dans les ports mondiaux s’inscrit dans un projet global de sécurisation et de domination des routes commerciales maritimes, en réponse à des contraintes géopolitiques et économiques majeures. Par la Belt and Road Initiative, la Chine exerce une influence grandissante, combinant pragmatisme économique, diplomatie “win-win” et ambitions stratégiques pour sécuriser ses approvisionnements et renforcer sa place sur la scène mondiale.

Toutefois, ce modèle porte en lui des risques, notamment liés à l’endettement des pays partenaires et à la possible montée des tensions géopolitiques. Pour les autres puissances, y compris l’Europe et les États-Unis, il s’agit de trouver un équilibre entre coopération économique et défense des intérêts souverains.

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