Nigéria : les failles d’un géant

Publié le :

Le Nigéria, géant africain aux contrastes marqués, où la grande pauvreté côtoie la grande richesse, révélant des failles profondes. Ce pays est confronté à des rivalités interethniques, une corruption endémique et un manque criant d’infrastructure. Toutefois, malgré ces défis, il possède des atouts considérables : une géographie stratégique, une démographie dynamique, une culture riche et d’abondantes ressources naturelles, incluant hydrocarbures et produits agricoles. En examinant le Nigéria sous cet angle critique, on découvre un géant aux forces et aux faiblesses notables.

À la charnière entre Afrique de l’Ouest et Afrique centrale, le Nigéria partage ses frontières avec le Bénin à l’ouest, le Niger au nord, le Tchad et le Cameroun à l’est. Au sud, sa façade maritime s’ouvre sur le golfe de Guinée. Son vaste territoire est traversé par le fleuve Niger et son principal affluent, la Bénoué, qui irrigue les grandes plaines du centre du pays. Plus au nord, on trouve de hauts plateaux et des Highlands montagneux. Le climat du Nigéria est clairement tropical au sud et de plus en plus aride vers le nord sahélien.

Le pays est une fédération de 36 États et sa capitale fédérale est Abuja depuis 1991. Avec 220 millions d’habitants, le Nigéria est le pays le plus peuplé d’Afrique, près d’un Africain sur 6 est Nigérian. En 2050, résultat d’une fécondité parmi les plus élevées de la planète, il pourrait être le numéro 3 mondial juste derrière l’Inde et la Chine. Le Nigéria est aussi le pays le plus urbanisé du continent ; plus de la moitié de la population vit en ville ou dans un bidonville.

Voici sur la carte les 17 villes de plus d’un million d’habitants, dont Lagos, la plus peuplée, où nous allons nous arrêter un instant. Ici vivent 17 millions d’habitants. Lagos, capitale économique et culturelle du pays, est un condensé du Nigéria avec ses profondes inégalités entre quartiers riches, modernes et barricadés à l’est, et la très grande pauvreté des bidonvilles qui s’étendent à l’ouest et au nord.

Lagos produit un quart du PIB nigérian et abrite en son cœur la plupart des industries, le centre d’affaires et la bourse, les start-ups, un port de conteneurs parmi les plus importants d’Afrique avec un projet de quartier futuriste construit sur une île, officiel Eko Atlantic City. La ville a pour ambition de devenir le Dubaï de l’Afrique. Sauf que le quotidien y est synonyme d’embouteillages monstres, d’innombrables coupures d’électricité et de pénuries d’essence. Trépidante et connectée, Lagos est également la capitale de la culture nigériane, la ville du cinéma africain avec les milliers de films produits chaque année à Hollywood. 2 % du PIB nigérian. C’est aussi la ville de l’afrobeats, des rois de la pop africaine, de la mode, des écrivains et des artistes. Lagos est aussi le centre rayonnant d’une mégalopole de villes littorales de quelque 100 millions d’habitants qui s’étendent de Port Harcourt sur le delta du Niger à Accra au Ghana, en passant par Porto-Novo au Bénin et Lomé au Togo.

Alors intéressons-nous à présent à la dimension pluriethnique du Nigéria. En effet, le pays abrite une très grande diversité de langues et de cultures. Comme on le voit sur cette carte des principaux groupes linguistiques, les plus nombreux sont les Hausa, agriculteurs, commerçants et artisans musulmans du Nord (25 %), puis viennent les Yoruba (21 %), des chrétiens des États du Sud, les Igbo (18 %) sont également chrétiens, tandis que les Peuls (8 %) sont musulmans.

L’islam domine dans la moitié nord du Nigéria, et depuis 2000, 12 États du Nord ont décrété l’application de la charia, la loi islamique. La moitié sud est majoritairement chrétienne, même si elle compte aussi des communautés animistes. Les prêcheurs évangéliques, très populaires, concurrencent aujourd’hui les églises protestantes et catholiques. Alors pour comprendre la répartition entre chrétiens et musulmans, il faut remonter le temps et raconter brièvement l’histoire du Nigéria.

Progressivement islamisé au Moyen-Âge, le nord du pays est ensuite dominé par les royaumes Hausa, puis au 19e siècle, le califat de Sokoto règne sur un vaste empire musulman. Au sud, depuis le 15e siècle, les navires portugais puis anglais débarquent sur la côte des esclaves pour acheter aux marchands Yoruba des captifs qu’ils iront revendre aux Amériques. Ils transportent également des missionnaires chrétiens qui se chargent d’évangéliser les populations du Sud. En 1885, à la conférence de Berlin, la Grande-Bretagne obtient un protectorat sur le Nigéria. La conquête puis la colonisation britannique sont brutales.

En 1960, les luttes anticoloniales des Nigérians aboutissent à l’indépendance, et les frontières actuelles sont fixées en 1961. Mais le pays demeure fracturé par des revendications séparatistes. De 1967 à 1970, la terrible guerre de sécession du Biafra fera 1 million de victimes et marquera profondément les Nigérians. Alors aujourd’hui où en est le Nigéria ? Le pays a connu coups d’État et dictature militaire en série, mais depuis 1999, les civils sont à nouveau au pouvoir. Sauf que les Nigérians souffrent d’un système politique clientéliste et corrompu, et qu’ils font face à d’énormes défis sécuritaires, économiques et sociaux.

Au cœur du système nigérian, carburant de la corruption et des inégalités, le pétrole. Grâce au pétrole du delta du Niger, le Nigéria est le premier producteur africain d’or noir. Il possède également les premières réserves en gaz et les deuxièmes en pétrole du continent, notamment offshore. Le pétrole représente 80 % des recettes de l’État. Cette richesse ne bénéficie pourtant que très peu aux populations du delta qui vivent dans la pauvreté et meurent des émanations polluantes du pétrole.

En effet, les oléoducs de Shell, Chevron, Total et consorts fuient de toutes parts, et le raffinage illégal aggrave encore cette pollution. De plus, le Nigéria exporte son pétrole brut, notamment vers l’Inde, les Pays-Bas et l’Espagne, ce qui le rend totalement dépendant des cours mondiaux et l’oblige à importer de l’essence raffinée à l’étranger au prix fort. Même si en 2023, l’homme d’affaires le plus riche d’Afrique, Aliko Dangote, a inauguré la plus grande raffinerie du continent à Ibeju-Lekki, Lagos.

Résultat, cette économie de rente pétrolière enrichit une élite au sud mais ne permet pas un véritable développement économique diversifié du pays. L’indice de développement de l’ONU place ainsi le Nigéria, qui est pourtant un membre influent de l’OPEP, au 163e rang mondial sur 191. Dans les campagnes, la pauvreté est endémique ; 40 % des Nigérians vivent avec moins de 2 dollars par jour, en particulier dans les États musulmans du Nord.

Le Nigéria souffre également du réchauffement climatique. Le développement urbain et toujours plus de sécheresse au nord entraîne la multiplication des conflits fonciers entre éleveurs et agriculteurs dans le centre et le nord du pays. Autre fléau, le djihadisme au nord-est du pays. Depuis 2009, l’État de Borno est gangrené par le groupe Boko Haram et depuis 2016 par celui de l’État islamique en Afrique de l’Ouest.

Des centaines de milliers de civils ont dû fuir ces groupes armés qui commettent meurtres, viols, attentats et enlèvements, en particulier dans les écoles qui symbolisent un savoir occidental détesté. La répression par les militaires nigérians a fait par ailleurs de très nombreuses victimes civiles.

Le Nigéria se situe dans une région politiquement instable. Les coups d’État se sont succédé en Guinée, au Mali, au Burkina Faso et enfin au Niger, son voisin, tandis que les groupes armés terroristes ne cessent leurs activités au Sahel.

Abuja affiche également de grandes ambitions internationales. Économiques tout d’abord : un projet de gazoduc sur 5000 km doit relier le Nigéria au Maroc, puis à l’Europe, qui cherche de nouveaux fournisseurs dans le contexte de la guerre en Ukraine. Un autre projet prévoit de traverser le Sahara et de gagner l’Algérie, toujours en vue de fournir le marché européen. Ambition géopolitique également : le Nigéria souhaite intégrer le club des BRICS pour contrebalancer l’influence occidentale, américaine en particulier.

Où va le Nigeria ?

Au début du mois d’août 2024, des milliers de Nigérians ont commencé à protester à travers le pays, s’inspirant largement des manifestations qui ont duré plusieurs semaines au Kenya. Les organisateurs, au moment du lancement des manifestations contre la mauvaise gouvernance, ont appelé à dix jours de manifestations visant à forcer le gouvernement à traiter les problèmes auxquels la nation est confrontée : le coût de la vie élevé, la négligence de l’État et la détérioration de la sécurité à l’intérieur du pays.

Ici, nous parlons du Nigeria, un État qui, il y a deux ans, était la plus grande économie d’Afrique. Mais en seulement deux ans, il a réussi à glisser de cette couronne et est désormais projeté pour devenir la quatrième plus grande économie d’Afrique d’ici fin 2024.
Le Nigeria traverse sa pire crise économique depuis des décennies. Avec une inflation galopante, une monnaie nationale en chute libre et des millions de personnes qui luttent pour joindre les deux bouts. La douleur de tout cela est incroyablement répandue et touche presque tous les aspects de la société. Les syndicats sont en grève pour protester contre des salaires d’environ 20 dollars par mois. Les gens finissent dans des bousculades désespérées pour essayer d’obtenir des sacs de riz gratuits. Les hôpitaux sont débordés de femmes enceintes souffrant de spasmes dus à des carences nutritionnelles. Ce sont des développements relativement nouveaux en raison de la gravité de la situation et de la rapidité avec laquelle elle s’est détériorée.

Pour ajouter à cette complexité, des réformes économiques majeures ont été entreprises au cours des dernières années pour tenter de résoudre divers problèmes que le pays a rencontrés. Le Nigeria a tenté d’enrayer les problèmes de la monnaie et l’effondrement des finances publiques en augmentant le coût des produits pétroliers en 2022. Le président Bola Tinubu, au pouvoir depuis mai 2023, a mis en œuvre une série de réformes économiques censées résoudre les problèmes en supprimant les subventions du gouvernement et en permettant à la monnaie locale, le naira, de flotter librement. Mais la mise en œuvre de ces politiques n’a pas été douce. Le coût de la vie a grimpé en flèche et les Nigérians ont rapidement découvert qu’ils n’étaient pas en mesure de faire face à la hausse des prix des produits de base comme l’essence et la nourriture. Des pénuries ont également été signalées, aggravant encore plus la situation. Cela a conduit à des grèves généralisées, des manifestations et des appels à des réformes plus profondes.

L’un des défis du Nigéria est qu’une augmentation des prix du carburant tend à entraîner une augmentation des prix de tout. De nombreuses industries, notamment celles de la fabrication et de l’agriculture, dépendent fortement du carburant pour fonctionner. Le grand coup fatal pour l’économie serait survenu le 14 juin 2023, lorsque le gouvernement mettrait fin à la politique de pegging du naira au dollar américain et permettrait à celui-ci de flotter et de trouver sa vraie valeur de marché basée sur l’offre et la demande.

L’idée derrière cela était de mettre fin à la corruption et de réduire simultanément les opportunités d’arbitrage en raison des différences entre les prix des devises étrangères officiels et ceux du marché noir. Pour quiconque, les importations devenaient considérablement plus chères et les Nigérians ont vu du jour au lendemain leur pouvoir d’achat effacé, car leurs salaires n’avaient pas augmenté pour couvrir ces coûts. Les entreprises à travers le pays se sont effectivement effondrées car elles n’avaient plus la monnaie étrangère nécessaire pour importer des produits, qu’ils soient bruts ou manufacturés, pour faire fonctionner leurs affaires. L’économie a vacillé.

Oui, il y avait de nombreuses allégations de dépenses publiques pour un yacht présidentiel, des jets privés, et des flottes de SUV pour les fonctionnaires publics. Tout cela se passait alors que le pays souffrait et en général, la population commençait à développer le sentiment que les riches politiques devenaient de plus en plus riches et que les pauvres du pays devenaient de plus en plus pauvres. La classe moyenne elle-même, déjà petite, avait maintenant des produits de base comme le riz, les œufs et les ignames devenus des biens de luxe.

Si l’on se base sur une évaluation approfondie pour évaluer le statut de géant du Nigeria, les performances du pays au cours des dernières années prouvent clairement que le pays est un géant sans substance. Le Nigeria a manqué de plusieurs aspects qui auraient pu améliorer son développement, alors qu’il se vautre dans la pauvreté et l’ignorance de son statut de géant de l’Afrique, tandis que d’autres nations africaines plus petites se frayent un chemin pour consolider leur gloire d’être la fierté de l’Afrique.

Pourtant, l’une des belles choses que ce pays célèbre encore est son industrie créative et celle du divertissement. Il a produit et produit encore certains des meilleurs talents, dont Wole Soyinka, Chimamanda Ngozi Adichie, Fela Anikulapo Kuti, etc., tandis que Nollywood est la deuxième plus grande industrie cinématographique au monde. Son influence politique sur les autres nations africaines, sa position militaire, sa production pétrolière et son développement agricole, ainsi que son industrie du sport sont parmi les meilleures d’Afrique. Quoi qu’il en soit, certains de ces hommages sont fondés sur des bases fragiles : l’argent du pétrole s’épuise rapidement et le Nigeria fonctionne en grande partie sur une agriculture de subsistance. Même les exploits sportifs du Nigeria ne suffisent pas à placer le pays sur le radar de l’accueil de compétitions mondiales, alors que d’autres nations africaines ont eu le privilège d’accueillir des compétitions mondiales en raison de leurs installations, de leurs politiques sportives, de leur engagement et de leur niveau d’organisation.

Le Nigéria peut néanmoins retrouver son statut en prenant des mesures positives et délibérées. La corruption, qui est à l’origine de la perte du Nigéria, peut être combattue par une bonne gouvernance, un leadership efficace et des valeurs morales et patriotiques enseignées non seulement au niveau local mais aussi au sein de la famille. L’éducation est la pierre angulaire du développement d’une nation. Elle permet de former des individus qualifiés et instruits, essentiels à la main-d’œuvre du pays pour favoriser les avancées technologiques et les solutions aux défis sociétaux. Investir dans l’éducation équivaut à investir dans l’avenir du pays ; il convient donc d’allouer davantage de fonds budgétaires à l’éducation dans le pays. Une dépendance réduite au pétrole et une concentration accrue sur les secteurs agricole et technologique favoriseraient une croissance économique durable.

Le pays était sans aucun doute autrefois le géant de l’Afrique ; ses exploits parlaient d’eux-mêmes, mais cette reconnaissance est aujourd’hui éclipsée par les mauvais résultats obtenus par le pays.

Voir aussi

Les relations UE-ACP : une forme de coopération Nord-Sud déséquilibrée

La coopération UE-ACP s’inscrit dans le cadre de la recherche des solutions aux problèmes...

Les pays africains perdent chaque année 88 milliards de dollars à cause des flux financiers illicites

Les flux financiers illicites (FFI) sont des mouvements d’argent et d’actifs transfrontaliers dont...

Les Confessions d’un assassin financier de John Perkins

L'un des événements les plus marquants de ces dernières décennies a été l'implication...
Send this to a friend