L’Ivoirien Tidjane Thiam et son parcours exceptionnel : de Credit Suisse à la tête du PDCI

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Dans le paysage politique et économique africain, peu de trajectoires incarnent autant l’ambition, le talent et les défis que celle de Tidjane Thiam. Né en Côte d’Ivoire en 1962, cet homme d’affaires et politicien a gravi les échelons des plus grandes institutions financières mondiales, devenant le premier dirigeant noir d’une entreprise du FTSE 100 et le premier Africain à la tête d’une banque européenne majeure comme Credit Suisse. Aujourd’hui, à la tête du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire – Rassemblement Démocratique Africain (PDCI-RDA), le plus ancien parti politique d’Afrique de l’Ouest, Thiam tente de reconquérir le pouvoir dans son pays natal, malgré des obstacles judiciaires et politiques récents. Son parcours, mêlant excellence académique, succès professionnels fulgurants et engagement politique, en fait une figure emblématique de la diaspora africaine qui rentre au bercail pour transformer son continent. Retour sur une vie hors du commun, au 30 septembre 2025.

Tidjane Thiam voit le jour le 29 juillet 1962 à Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire, au sein d’une famille profondément ancrée dans l’histoire politique ouest-africaine. Fils d’Amadou Thiam, journaliste sénégalais émigré en Côte d’Ivoire en 1947, et de Marietou Sow, nièce du fondateur de la nation ivoirienne et premier président, Félix Houphouët-Boigny, Thiam grandit dans un milieu imprégné de pouvoir et de luttes pour l’indépendance. Son père, qui dirigea Radio Côte d’Ivoire et occupa plusieurs postes ministériels, fut même arrêté en 1963 pour un présumé complot avant d’être innocenté et nommé ambassadeur au Maroc. C’est là, à Rabat, que Tidjane passe une grande partie de son enfance, de 1966 à 1977, forgeant un regard cosmopolite sur le monde.

Le benjamin de sept enfants, Thiam est issu d’une lignée influente : son oncle Habib Thiam fut Premier ministre du Sénégal pendant plus de dix ans, et sa famille maternelle descend de la reine Yamousso, figure historique dont le nom inspira la capitale politique Yamoussoukro. Malgré ces racines prestigieuses, l’enfance de Thiam est marquée par la mobilité et les défis, notamment après le retour en Côte d’Ivoire en 1977. Il fréquente le lycée classique d’Abidjan avant de partir en France pour une classe préparatoire au lycée Sainte-Geneviève à Versailles en 1980. Ce choix marque le début d’une ascension fulgurante.

Une formation d’élite : Premier Ivoirien à Polytechnique

L’excellence académique de Tidjane Thiam est légendaire. En 1982, à seulement 20 ans, il devient le premier Ivoirien à réussir le concours d’entrée à l’École Polytechnique de Paris, l’une des plus prestigieuses grandes écoles d’ingénieurs au monde. Il en sort diplômé en 1984, avant d’intégrer l’École Nationale Supérieure des Mines de Paris, où il est major de sa promotion en 1986. Passionné par les affaires, il obtient une bourse pour un MBA à l’INSEAD en 1988, figurant sur la Dean’s List, tout en rejoignant le prestigieux McKinsey Fellows Programme.

En 1989, Thiam prend une année sabbatique pour participer au programme des Jeunes Professionnels de la Banque Mondiale à Washington, D.C., une expérience qui affine sa vision du développement économique. Ces années formatrices, couronnées par l’acquisition de la nationalité française en 1987, lui ouvrent les portes d’un monde professionnel global, mais aussi les critiques futures sur sa double nationalité.

Une carrière fulgurante dans le privé : De McKinsey à Credit Suisse

De retour en Côte d’Ivoire en 1994, Thiam plonge dans le service public, mais c’est dans le privé qu’il bâtit sa légende. Chez McKinsey & Company, où il intègre en 1986, il excelle comme consultant à Paris, Londres et New York jusqu’en 1994, avant de revenir comme partner de 2000 à 2002, dirigeant la pratique des institutions financières. Son passage au cabinet de conseil lui forge une réputation de stratège impitoyable.

En 2002, il rejoint l’assureur britannique Aviva comme directeur de la stratégie et du développement, gravissant rapidement les échelons : managing director international en 2004, CEO Europe en 2006. En 2007, il passe chez Prudential plc comme CFO, puis CEO en 2009, devenant le premier dirigeant africain d’une entreprise du FTSE 100. Sous sa houlette, Prudential connaît une croissance spectaculaire : +17 % de profits en 2013, malgré l’échec retentissant de l’offre de rachat d’AIA en 2010, qui lui vaut une amende de 30 millions de livres de la Financial Services Authority pour manque de transparence. Réélu avec 99,3 % des voix en 2011, Thiam démontre sa résilience.

C’est en 2015 que son parcours atteint un sommet : nommé CEO de Credit Suisse, il est le premier Noir et le premier Africain à diriger une grande banque européenne. Le cours de l’action bondit de 7,5 % à l’annonce. Il lance un “plan radical sur trois ans” : coupes budgétaires, restructurations, et recentrage sur l’Asie et la gestion de fortune. En 2018, Euromoney le nomme “Banquier de l’année” pour avoir “réinventé” la banque, la ramenant à la rentabilité. Pourtant, en 2019, un scandale d’espionnage interne – impliquant la surveillance d’un cadre partant chez UBS – ébranle son règne. Bien qu’exonéré par une enquête, Thiam démissionne en février 2020 pour apaiser les tensions au conseil d’administration. Post-Credit Suisse, il rejoint le board de Kering (jusqu’en 2024), préside Rwanda Finance Limited depuis 2022 pour développer le Kigali International Financial Centre, et est nommé en 2020 Envoyé spécial de l’Union Africaine sur le Covid-19.

L’engagement politique : Du ministère à la tête du PDCI

Le politique coule dans les veines de Thiam. En 1994, il est nommé CEO du Bureau National d’Études Techniques et de Développement (BNETD), un géant ivoirien de 4 000 employés, où il négocie avec le FMI et mène des privatisations massives (télécoms, énergie, aéroports). En 1998, à 36 ans, il devient Ministre de la Planification et du Développement sous Henri Konan Bédié, impulsant des projets phares comme la centrale d’Azito ou la rénovation de l’aéroport d’Abidjan.

Le coup d’État de 1999 change tout : arrêté puis libéré, il refuse un poste sous le junta et s’exile. Vingt ans plus tard, en décembre 2023, il est élu président du PDCI-RDA avec 96,5 % des voix, succédant à Bédié décédé en août. Ce parti historique, fondé en 1946 par Houphouët-Boigny, vise à se rajeunir sous son impulsion. Thiam, grand-neveu du fondateur, incarne ce renouveau.

Les défis de 2025 : Candidature à la présidentielle et batailles judiciaires

2025 marque un tournant dramatique. Le 7 février, Thiam renonce à sa nationalité française pour briguer la présidence ivoirienne d’octobre. Le 18 avril, il est unanime candidat du PDCI, obtenant 99,5 % des voix. Mais une militante, Valérie Yapo, conteste son élection de 2023 pour double nationalité, arguant qu’il avait perdu sa nationalité ivoirienne en 1987. Le 22 avril, un tribunal le radie de la liste électorale, décision “irrévocable” selon son avocat. Thiam dénonce un “vandalisme démocratique” et appelle au dialogue.

Sous pression judiciaire, il démissionne le 11 mai pour protéger le parti d’une tutelle, mais est réélu le 14 mai avec 99,77 % des voix lors d’un congrès extraordinaire. Le 21 août, il obtient un certificat de nationalité ivoirienne ; le 24 août, le PDCI dépose sa candidature à la CEI, malgré son absence de la liste électorale. Le 8 septembre, le Conseil constitutionnel rejette définitivement sa candidature, aux côtés de celle de Laurent Gbagbo, qualifiant l’élection de “couronnement” pour Alassane Ouattara. Thiam, absent du pays depuis des mois (à Paris), renforce le bureau politique du PDCI avec 154 nominations le 13 août, affirmant sa loyauté au parti et son ambition intacte. Ernest N’Koumo Mobio assure l’intérim.

Controverses et héritage : Un parcours semé d’embûches

Le chemin de Thiam n’est pas sans ombres. L’affaire AIA en 2010 entache Prudential, et le scandale d’espionnage à Credit Suisse – où le COO Pierre-Olivier Bouée démissionne – force sa sortie. En politique, les attaques sur sa nationalité révèlent des fractures au PDCI et des enjeux identitaires en Côte d’Ivoire post-crise. Marié à Annette Anthony Thiam (afro-américaine, rencontrée en 1989, séparés en 2015), père de deux fils, il a reçu la Légion d’honneur française en 2011 et co-préside le Forum Économique Mondial en 2016.

Un retour aux sources pour un avenir incertain

Tidjane Thiam incarne le rêve africain globalisé : d’Abidjan à Zurich, de McKinsey à la présidence du PDCI, son parcours exceptionnel allie génie stratégique et engagement patriotique. Malgré l’exclusion de la présidentielle 2025, qui prive des millions d’électeurs d’un choix, Thiam reste une force vive. À 63 ans, il pourrait viser 2030 ou influencer l’opposition. Comme il le dit, “Je suis né Ivoirien” – et son legs, entre finance innovante et politique réconciliatrice, inspire déjà une génération. L’Afrique a besoin de tels bâtisseurs.

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