Après des décennies d’attente et de rebondissements, le projet d’exploitation du gisement de fer de Simandou semble enfin sur les rails. Mais cette richesse minérale exceptionnelle pourra-t-elle vraiment transformer l’économie guinéenne ?
La promesse des montagnes de fer
Dans les montagnes reculées du sud-est de la Guinée se trouve ce que les experts considèrent comme le plus grand gisement de minerai de fer inexploité au monde. Avec ses 2,4 milliards de tonnes de réserves d’une teneur exceptionnelle dépassant 65%, Simandou est souvent qualifié de “trésor géologique”.
C’est l’une des ressources minérales les plus convoitées de la planète, explique Mamadou Bah, économiste à l’Université de Conakry. La qualité de ce minerai en fait une matière première stratégique, particulièrement à l’heure où l’industrie sidérurgique mondiale cherche à réduire son empreinte carbone.
Le minerai à haute teneur présente en effet l’avantage de nécessiter moins d’énergie lors de sa transformation en acier, un argument de poids à l’heure des préoccupations environnementales croissantes.
Un feuilleton industriel aux multiples rebondissements
L’histoire de Simandou s’apparente à un roman économico-politique aux multiples rebondissements. Découvert dans les années 1990, le gisement a vu défiler les plus grands acteurs du secteur minier mondial : Rio Tinto, Vale, BSG Resources du magnat israélien Beny Steinmetz, et plus récemment, le géant chinois de l’aluminium Chinalco et le consortium sino-singapourien SMB-Winning.
Le projet a été enlisé pendant des années dans un imbroglio juridique et politique complexe”, analyse Pierre Dupont, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Chaque changement de régime en Guinée a remis en question les attributions précédentes, suscitant inquiétudes et procédures judiciaires internationales.
Après des années de stagnation et plusieurs révisions des accords miniers, le projet semble enfin avancer. En 2022, la junte militaire au pouvoir à Conakry a signé un accord-cadre avec les différents investisseurs, ouvrant la voie à une exploitation divisant le gisement en deux blocs principaux.
Une infrastructure titanesque
L’ampleur du projet Simandou dépasse largement l’extraction minière. Pour acheminer le minerai jusqu’aux ports d’exportation, une infrastructure colossale doit être construite : 670 kilomètres de voie ferrée traversant certaines des régions les plus accidentées d’Afrique de l’Ouest, et un terminal portuaire en eau profonde.
C’est l’un des plus grands projets d’infrastructure en cours sur le continent africain, souligne Sophie Martin, analyste chez Global Mining Research. Le coût total de développement est estimé entre 15 et 20 milliards de dollars, soit plus que le PIB annuel de la Guinée.
Cette infrastructure représente à la fois un défi et une opportunité. Si la voie ferrée et le port sont conçus uniquement pour l’exportation du minerai, les retombées économiques resteront limitées. En revanche, une infrastructure multifonctionnelle pourrait désenclaver des régions entières et stimuler d’autres secteurs économiques.
Le syndrome de la “malédiction des ressources”
La question qui préoccupe de nombreux observateurs est de savoir si Simandou pourra échapper au phénomène bien connu de la “malédiction des ressources”, qui a vu tant de pays riches en matières premières s’enfoncer dans la corruption et l’instabilité politique.
L’expérience montre que l’abondance de ressources naturelles n’est pas nécessairement synonyme de développement économique, rappelle Fatou Camara, directrice de l’ONG Transparence Minière. Sans une gouvernance solide et transparente, les revenus miniers peuvent alimenter la corruption et creuser les inégalités plutôt que de bénéficier à la population.
Le gouvernement guinéen affirme avoir tiré les leçons du passé. Le nouveau code minier impose aux entreprises étrangères de s’associer à des partenaires locaux et prévoit des mécanismes de redistribution des revenus aux communautés affectées.
Les autorités ont intégré une clause de ‘contenu local’ obligeant les opérateurs à employer et former des travailleurs guinéens et à s’approvisionner auprès d’entreprises nationales, précise Ibrahim Touré, consultant en droit minier. Mais l’application effective de ces dispositions reste à démontrer.
Entre espoirs et réalités
Pour la Guinée, pays de 13 millions d’habitants dont près de 40% vivent sous le seuil de pauvreté malgré d’immenses richesses minérales, Simandou représente un espoir considérable. Les projections officielles évoquent la création de dizaines de milliers d’emplois et une augmentation significative des recettes fiscales de l’État.
Le projet pourrait ajouter jusqu’à 5 points de croissance annuelle au PIB guinéen une fois pleinement opérationnel, estime Jean Kaba, économiste à la Banque africaine de développement. Mais ces chiffres doivent être considérés avec prudence et les bénéfices ne seront pas immédiats.
Sur le terrain, les communautés locales expriment à la fois espoir et inquiétude. “Nous attendons des emplois et des infrastructures pour nos villages”, témoigne Mariama Condé, représentante d’une association de femmes à Beyla, ville proche du gisement. “Mais nous craignons aussi les impacts environnementaux et les bouleversements sociaux qu’un tel projet peut engendrer.”
La Chine, partenaire incontournable
L’avancée récente du projet Simandou s’inscrit dans un contexte géopolitique où la Chine affirme sa présence en Afrique. Principal consommateur mondial de minerai de fer pour son industrie sidérurgique, l’Empire du Milieu a placé Simandou parmi ses priorités stratégiques.
Pour Pékin, Simandou représente une alternative aux fournisseurs traditionnels que sont l’Australie et le Brésil, explique Antoine Durand, analyste en matières premières. C’est aussi un maillon essentiel de sa stratégie d’influence en Afrique, dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie.
Cette présence chinoise suscite des réactions contrastées. Certains y voient une opportunité de développement accéléré grâce à des financements massifs et une expertise technique. D’autres s’inquiètent d’un déséquilibre dans la relation et d’une dépendance excessive envers Pékin.
Un défi pour la Guinée
Si l’extraction du minerai de Simandou devrait débuter dans les prochaines années, la transformation de cette ressource en véritable moteur de développement reste un défi de taille. Entre ambitions nationales, intérêts des investisseurs internationaux et attentes des populations locales, l’équation est complexe.
Simandou est bien plus qu’un simple projet minier, conclut Amadou Diallo, ancien ministre guinéen des Mines. C’est un test pour notre capacité à transformer nos richesses naturelles en développement durable et inclusif.
Pour la Guinée, quatrième producteur mondial de bauxite mais figurant parmi les pays les moins avancés, le défi est de taille : faire de Simandou un véritable catalyseur de transformation économique et sociale.