La chaîne de valeur agricole en Afrique englobe toutes les étapes nécessaires pour acheminer les produits agricoles de la ferme à la table du consommateur. Chaque étape est essentielle pour garantir la sécurité alimentaire, la qualité et la durabilité, qui sont vitales pour le développement économique et le bien-être du continent.
Vue d’ensemble de la chaîne de valeur agricole et de ses composantes
1. Approvisionnement en intrants
Composants : Semences, engrais, pesticides, machines et autres équipements agricoles.
Importance : L’accès à des intrants de haute qualité est essentiel pour une agriculture réussie. Ces intrants influencent le rendement des cultures, la résistance aux parasites et la productivité globale.
1.1 Défis
En Afrique subsaharienne, seulement 20 % des agriculteurs utilisent des semences améliorées, et l’accès aux engrais est limité (moins de 10 kg/ha contre 100 kg/ha en Asie). Les engrais et semences sont souvent chers, et les programmes de subventions peuvent être mal ciblés. L’existence d’intrants contrefaits ou de mauvaise qualité réduit l’efficacité agricole et la confiance des agriculteurs. Les agriculteurs ont souvent du mal à obtenir des crédits pour acheter des intrants avant la récolte.
La mécanisation est également extrêmement faible. Seulement 0,3 tracteur pour 100 hectares (contre 10 en Asie du Sud). Les tracteurs et machines sont souvent inabordables ou indisponibles dans les zones rurales.
1.2 Opportunités
Des initiatives comme l’Alliance pour une Révolution Verte en Afrique (AGRA) promeuvent des semences hybrides résistantes à la sécheresse (ex. : maïs WEMA au Kenya).
Les technologies numériques, y compris l’imagerie satellitaire et les capteurs, permettent de mettre en œuvre l’agriculture de précision. Ces outils fournissent des recommandations précises sur l’application optimale d’engrais (quantité, moment, et lieu), ce qui réduit considérablement les coûts et le gaspillage.
Un investissement soutenu dans la Recherche et le Développement (R&D) locale permet de créer des bio-pesticides, des bio-engrais et de produire des semences adaptées au climat africain (résistantes aux maladies et à la sécheresse), réduisant ainsi la dépendance aux importations.
Des plateformes de location de tracteurs comme Hello Tractor (Nigeria, Kenya) ou TROTRO Tractor (Ghana) permettent aux petits agriculteurs d’accéder à des machines à bas coût via des applications mobiles. Les coopératives agricoles et les plateformes numériques (ex. : FarmDrive au Kenya) facilitent l’accès aux intrants via des microcrédits. Les tracteurs multifonctions adaptés aux petites parcelles (moins de 2 ha) et les services de location à la demande révolutionnent l’accès à la mécanisation.
En Afrique, l’amélioration de l’accès à des intrants de qualité est cruciale pour augmenter la productivité agricole et soutenir les moyens de subsistance des agriculteurs.
2. Production
Composantes : Culture, élevage et aquaculture.
Importance : Cette étape constitue le fondement de la chaîne de valeur agricole. La mise en œuvre de pratiques agricoles efficaces et durables permet d’accroître la productivité et d’améliorer la qualité des produits.
2.1 Défis
Les petits exploitants (80 % des agriculteurs africains) cultivent souvent moins de 2 hectares, avec un accès limité à l’irrigation (seulement 6 % des terres arables). L’agriculture pluviale est majoritaire, ce qui la rend très sensible aux variations climatiques. La fertilité des sols est souvent faible.
80 % du travail agricole est manuel en raison du faible accès aux tracteurs et machines, ce qui limite la productivité, augmente la fatigue et retarde les opérations. L’utilisation d’outils et de machines modernes est limitée, ce qui maintient des rendements faibles et une pénibilité du travail élevée.
L’insécurité des droits fonciers décourage les investissements à long terme dans l’amélioration des terres.
2.2 Opportunités
La diffusion de systèmes d’irrigation au goutte-à-goutte solaire et de micro-irrigation permet de réduire la dépendance à la pluie. En Éthiopie, l’adoption de techniques agroécologiques (rotation des cultures, compostage) a augmenté les rendements de teff de 20-30 %. Au Nigeria, l’utilisation de tracteurs loués via Hello Tractor a permis à des agriculteurs de labourer 5 hectares en une journée au lieu de 3 semaines à la main.
En Afrique, où les petits exploitants agricoles sont majoritaires, l’adoption de pratiques agricoles améliorées peut considérablement stimuler la production alimentaire et la stabilité économique.
3. Récolte
Composantes : Moment de la récolte, techniques de récolte et traitement initial (comme le séchage ou le nettoyage).
Importance : Des techniques de récolte appropriées minimisent les pertes et préservent la qualité des produits.
3.1 Défis
Les pertes à la récolte peuvent atteindre 15-20 % pour les céréales en raison de techniques manuelles inadéquates ou d’un mauvais timing (récolte sous la pluie). Le manque d’équipement de séchage ou de nettoyage adéquat (par exemple, pour le riz ou le maïs) peut compromettre la qualité et favoriser la contamination, notamment par les aflatoxines.
3.2 Opportunités
L’adoption de l’Internet des Objets (IoT), via des capteurs d’humidité des sols, permet de déterminer le moment optimal de la récolte. Associée à des formations sur le calendrier cultural, cette technologie assure une maturité idéale des produits, maximisant leur qualité et leur rendement.
Pour pallier les limites du travail manuel, l’introduction de machines adaptées aux petites exploitations doit s’intensifier. L’utilisation de faux à main améliorées (comme en Ouganda pour le riz) et de moissonneuses portatives ou semi-mécanisées permet d’accélérer significativement le processus de récolte, réduisant l’exposition aux intempéries et les dommages physiques. Le développement de petites moissonneuses-batteuses ou d’équipements semi-mécanisés est particulièrement pertinent pour les petites parcelles, garantissant une récolte efficace sans nécessiter de lourds investissements.
Le séchage est un point critique pour prévenir la contamination. L’utilisation de séchoirs solaires améliorés ou de dispositifs de séchage simples mais hygiéniques est encouragée pour garantir un séchage rapide. Ces pratiques, telles que l’utilisation de bâches pour sécher le maïs au Malawi, permettent de minimiser l’humidité et, par conséquent, de réduire drastiquement les pertes causées par les moisissures et les dangereuses aflatoxines, assurant une meilleure sécurité alimentaire.
En Afrique, la réduction des pertes post-récolte grâce à de meilleures méthodes de récolte peut augmenter de manière significative la disponibilité alimentaire et les revenus des agriculteurs.
4. Manipulation après récolte
Composantes : Tri, classement, emballage et stockage.
Importance : Une manipulation post-récolte efficace minimise la détérioration et maintient la qualité du produit.
4.1 Défis
Les pertes post-récolte atteignent 30-40 % pour les produits périssables (fruits, légumes) et 20 % pour les céréales, dues à un stockage inadéquat (sacs tissés, greniers traditionnels). Le manque de magasins et de silos modernes et hermétiques expose les produits aux rongeurs et aux parasites.
Les infrastructures de chaîne du froid sont insuffisantes pour les produits périssables (fruits, légumes, produits laitiers). L’absence de normes strictes de tri et de classement rend la commercialisation plus difficile et moins lucrative.
4.2 Opportunités
Les silos hermétiques (ex. : PICS bags au Niger) réduisent les pertes de niébé de 90 %. Au Kenya, les caisses en plastique réutilisables protègent les mangues pendant le transport. Les technologies comme les entrepôts réfrigérés solaires et les applications de traçabilité (ex. : Twiga Foods) améliorent la gestion. Les coopératives centralisent le tri et l’emballage. Le développement de chambres froides modulaires solaires pour les zones rurales, prolongeant la durée de conservation des denrées périssables.
En Afrique, où les pertes post-récolte peuvent être élevées, l’amélioration des pratiques de stockage et de manutention est essentielle pour renforcer la sécurité alimentaire.
5. Transformation
Composantes : Conversion des produits agricoles bruts en produits alimentaires (par exemple, la mouture de céréales en farine, la transformation du lait en fromage).
Importance : La transformation ajoute de la valeur aux produits agricoles bruts, les rendant plus aptes à la consommation et prolongeant leur durée de conservation.
5.1 Défis
Moins de 10 % des produits agricoles africains sont transformés localement, contre 40 % en Asie. Les petites et moyennes entreprises (PME) de transformation ont du mal à accéder aux financements pour acheter des équipements et à pénétrer les marchés d’exportation en raison de normes de qualité strictes. L’approvisionnement en matières premières brutes (produits agricoles) est souvent irrégulier en volume et en qualité. Le coût et l’irrégularité de l’électricité entravent le fonctionnement efficace des usines de transformation.
5.2 Opportunités
L’émergence de grandes usines de transformation, comme les unités dédiées à la tomate au Nigeria (par exemple, le groupe Dangote), démontre le potentiel d’industrialisation et a un impact direct en générant des milliers d’emplois formels.
Des efforts doivent être faits pour transformer davantage localement les produits clés au lieu de les exporter bruts. En Côte d’Ivoire, par exemple, la transformation du cacao en produits finis comme le chocolat local est en pleine expansion, capturant une part plus importante des bénéfices de la filière.
Certains gouvernements encouragent l’investissement dans la transformation via des structures dédiées. La création d’agroparcs ou de zones agro-industrielles (comme au Rwanda) et l’octroi d’incitations fiscales spécifiques constituent des leviers majeurs pour attirer les capitaux et les technologies.
Les entreprises innovantes, telles que ThriveAgric, mettent en œuvre des solutions de transformation à petite échelle. Ceci inclut la promotion d’équipements modulaires et efficaces qui peuvent être installés au niveau du village (comme les décortiqueuses de riz mobiles ou les presses à huile), décentralisant la création de valeur.
Une tendance clé est la valorisation et la transformation des cultures de base locales (mil, sorgho, manioc) en nouveaux produits alimentaires transformés de haute qualité. Cette diversification permet de mieux répondre à la demande croissante et changeante des populations urbaines africaines, tout en offrant des alternatives aux produits importés.
En Afrique, le développement d’industries de transformation locales peut créer des emplois et réduire la dépendance à l’égard des aliments transformés importés.
6. Distribution
Composantes : Transport, logistique et gestion de la chaîne d’approvisionnement.
Importance : Des systèmes de distribution efficaces garantissent que les produits alimentaires passent rapidement de la ferme au marché, en préservant leur fraîcheur et leur qualité.
6.1 Défis
Les coûts de transport représentent jusqu’à 40 % du prix final des produits en raison de routes dégradées et de véhicules inadéquats. L’état des routes rurales rend le transport lent, coûteux et endommage les produits. Des chaînes de distribution longues avec de nombreux intermédiaires augmentent les prix pour le consommateur et réduisent la part du revenu revenant à l’agriculteur.
6.2 Opportunités
Des plateformes numériques de logistique, comme Sendy au Kenya, optimisent le transport en connectant directement les agriculteurs aux transporteurs et en rationalisant les itinéraires. Ces applications jouent un rôle d’intermédiation en mettant en relation directe les agriculteurs avec les acheteurs (agrégateurs, transformateurs, ou détaillants), permettant d’optimiser les coûts et l’efficacité du transport.
L’utilisation de technologies avancées comme la blockchain améliore la traçabilité des produits de la ferme au consommateur, renforçant la confiance et l’efficacité des chaînes d’approvisionnement. Des innovations comme l’utilisation de drones sont explorées pour la livraison de produits de haute valeur ou d’intrants urgents dans les zones rurales difficiles d’accès.
La construction et la réhabilitation des routes rurales est un investissement fondamental qui permet de désenclaver les zones de production, réduisant les dommages subis par les produits et les délais de transport. L’investissement dans les corridors ferroviaires (comme en Tanzanie) permet de réduire significativement les délais et les coûts pour le transport de grands volumes de produits agricoles.
L’intégration de camions réfrigérés dans la logistique de distribution est essentielle pour maintenir la qualité et prolonger la durée de vie des produits périssables.
Le renforcement des marchés régionaux et des blocs commerciaux (par exemple, le COMESA) permet de simplifier les procédures douanières et logistiques, facilitant ainsi les échanges transfrontaliers de produits agricoles.
En Afrique, l’amélioration des infrastructures et de la logistique peut contribuer à réduire les coûts de transport et à améliorer l’accès des agriculteurs aux marchés.
7. Marketing et vente au détail
Composantes : Marchés de gros, supermarchés, marchés de producteurs et plateformes en ligne.
Importance : Un marketing efficace relie les producteurs aux consommateurs, stimulant les ventes et garantissant que les produits atteignent les utilisateurs finaux.
7.1 Défis
Les agriculteurs captent souvent moins de 30 % de la valeur finale en raison des intermédiaires. Les marchés informels dominent, avec peu de normes de qualité. Il est difficile pour les petits producteurs d’accéder aux supermarchés et aux marchés d’exportation qui exigent de gros volumes et une qualité homogène.
7.2 Opportunités
En Afrique du Sud, les supermarchés comme Shoprite intègrent les petits producteurs. Les certifications (ex. : Fair Trade) et les marques locales renforcent la confiance. Les réseaux sociaux et les applications (ex. : M-Farm) permettent un marketing direct.
En Afrique, le renforcement des liens commerciaux et le soutien aux marchés locaux peuvent améliorer les revenus des agriculteurs et l’accès des consommateurs aux produits frais.
8. Consommation
Composantes : Préparation des aliments, cuisson et consommation par les utilisateurs finaux.
Importance : Cette étape complète la chaîne de valeur agricole. L’éducation des consommateurs en matière de nutrition, de sécurité alimentaire et de pratiques de consommation durables les aide à faire des choix éclairés et à réduire le gaspillage alimentaire, contribuant ainsi à la sécurité alimentaire et à la santé en général.
En conclusion, en relevant les défis et en tirant parti des possibilités offertes à chaque étape de la chaîne de valeur agricole, l’Afrique peut mettre en place un système alimentaire plus durable, plus productif et plus équitable.
Source : Understanding the Agricultural Value Chain: From Farm to Fork – Matthew Philip sur LinkedIn
