Ce que les milliardaires africains ne disent pas

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Dans l’imaginaire collectif, les milliardaires incarnent souvent l’image de la réussite ostentatoire et du pouvoir économique affiché au grand jour. Pourtant, en Afrique, et particulièrement en Afrique francophone, ce portrait est loin d’être aussi simple. Les riches du continent ont leurs secrets, ne partagent que partiellement la vérité sur leur fortune, et naviguent dans un environnement complexe, à la croisée des affaires, de la politique et de l’histoire. À travers une enquête approfondie et plusieurs témoignages recueillis auprès des milliardaires eux-mêmes, voici ce que leurs discours publics taisent bien souvent.

Le tabou de la richesse assumée

Contrairement aux États-Unis, où richesse et richesse affichée riment avec transparence – en grande partie grâce à la bourse et à la réglementation – en Afrique francophone, la richesse est un secret bien gardé. Les riches ne veulent pas forcément exposer l’ampleur de leurs fortunes. Ils préfèrent souvent rester dans l’ombre, de crainte d’attirer la jalousie, la méfiance, voire des menaces.

La transparence y est compliquée : les déclarations fiscales sont souvent biaisées, les chiffres réels souvent minorés pour payer moins d’impôts. Pour obtenir une vision plus juste et confidentielle, les chercheurs ont dû former des comités secrets composés de banquiers, d’avocats d’affaires, de commissaires aux comptes, capables de partager des informations sous le sceau de la confidentialité.

Ce voile pudique sur les chiffres est révélateur d’une réalité où la fortune suscite fascination et méfiance, mais rarement fierté ou affirmation publique.

Des parcours hors normes et une grande diversité d’itinéraires

Chaque milliardaire africain a une histoire unique, souvent faite de défis, de rebondissements et de choix stratégiques. L’exemple de Mohammed Dewji, héritier d’une famille de commerçants, montre combien la révolution industrielle locale peut booster une fortune : en misant sur la fabrication locale plutôt que l’importation, il a multiplié par plus de quinze le chiffre d’affaires familial, passant de 60 millions à plus d’un milliard de dollars en quinze ans.

D’autres parcours, moins connus, révèlent des aventures humaines riches, parfois racontées comme des romans : la réussite part souvent de l’humilité – par exemple Baba Danpullo, qui a commencé comme aide camionneur avant de bâtir un empire à travers des investissements intelligents, notamment en Afrique du Sud au moment du déclin de l’apartheid, achetant à bas prix des biens immobiliers stratégiques.

Ces histoires montrent que la richesse en Afrique peut être construite en dépit d’un environnement politique et économique difficile, par la vision, la persévérance, et parfois le courage d’oser là où beaucoup hésitent.

Le lien complexe entre politique et richesse

Ce que les milliardaires africains ne disent pas souvent publiquement, c’est le rôle central que joue la sphère politique dans leur ascension – ou leur chute. L’exemple emblématique du couple angolais formé par Isabel dos Santos, fille d’un ancien président, et son mari Sindika Dokolo, révèle les interactions entre pouvoir politique, accès aux ressources naturelles (diamants, pétrole) et enrichissement personnel.

Ils ont bénéficié d’avantages liés à leur proximité avec le pouvoir, en consolidant un patrimoine gigantesque dans des secteurs clés, au point d’être classés parmi les plus riches d’Afrique. Mais ce pouvoir peut aussi être éphémère : la fin du règne, la remise en cause de privilèges et les enquêtes anti-corruption peuvent faire basculer soudainement la fortune, comme le couple l’a malheureusement expérimenté.

Ainsi, derrière la réussite financière, il y a parfois le paravent du pouvoir politique — une dimension que le grand public ignore souvent, faute d’accès à des informations fiables ou par peur des représailles.

L’émergence d’une nouvelle classe d’entrepreneurs africains

Malgré ces complexités, une nouvelle génération d’hommes d’affaires africains émerge, qui adopte les règles modernes du capitalisme et laissent présager un avenir prometteur pour le continent. Ce phénomène est particulièrement visible au Nigeria, qui est en passe de devenir une puissance économique majeure grâce à son secteur privé dynamique et à l’émergence de start-up dans le digital, la fintech ou les télécommunications.

Ces entrepreneurs n’héritent pas tous ; beaucoup forment une élite tournée vers la création d’emplois et la redistribution réelle de la richesse. Parmi eux, il y a des banques, des industriels, des assureurs, mais aussi des innovateurs du secteur numérique, qui participent directement à la transformation économique locale et jouent un rôle clé dans la construction d’une prospérité.

Ces acteurs incarnent une réussite différente, plus transparente et plus engagée dans le développement socio-économique.

La diaspora : une force méconnue pour le développement

Un autre aspect peu mis en lumière dans les discours classiques, c’est le rôle essentiel de la diaspora africaine dans la création de nouvelles fortunes et dans le soutien au continent.

Par exemple, la diaspora nigériane aux États-Unis compte désormais des milliardaires qui, tout en développant leurs affaires à l’international, entretiennent des liens solides avec leur pays d’origine — avec des plans ambitieux pour contribuer à la croissance du Nigeria. Cette diaspora est souvent un vecteur de transfert de savoir-faire, d’investissements, et d’innovation, jouant un rôle clé dans ce que certains appellent « l’Afrique réveillée ».

Cette nouvelle dynamique offre une perspective optimiste : loin du découragement lié à la fuite des cerveaux, la diaspora incarne un pari sur l’avenir économique et social africain.

Le défi de la construction d’une prospérité locale

La grande leçon de ces révélations, c’est que la richesse africaine ne refuse pas la transparence par simple arrogance, mais souvent par nécessité dans un cadre institutionnel fragile, marqué par l’instabilité, la corruption et l’insécurité juridique. Pourtant, ce sont les entrepreneurs capables de s’appuyer sur des règles de gestion modernes, de créer des emplois et de réinvestir dans leurs pays qui portent l’espoir de transformer le continent.

L’Afrique, pour gagner son pari économique, doit donc encourager ces acteurs, en assurant un cadre fiscal et réglementaire favorable, en valorisant l’innovation locale et le leadership économique propre, plutôt que de dépendre des aides internationales ou d’un État parfois absent.

Les milliardaires africains évoluent dans un environnement à la fois fascinant et complexe. Derrière le voile d’un silence prudent sur la taille réelle de leurs fortunes se jouent des histoires riches en leçons — des parcours héroïques, des liens sinueux avec le pouvoir politique, des stratégies d’adaptation à un contexte difficile, mais aussi l’émergence concrète d’une nouvelle classe d’entrepreneurs responsables.

Référence : Enquêter sur les fortunes africaines, avec Michel Lobé Ewane ex-rédacteur chez Forbes Afrique – Au delà de l’image (YouTube)

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