L’aide au développement : une machine à piller ?

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Depuis plus de six décennies, l’aide publique au développement (APD) est considérée comme un moyen essentiel pour sortir les pays les plus pauvres de la pauvreté et du sous-développement. Pourtant, malgré des centaines de milliards de dollars versés, notamment en Afrique, la situation ne s’est guère améliorée, voire s’est aggravée pour certains indicateurs sociaux et économiques. Cette réalité amène à s’interroger profondément : L’aide au développement est-elle vraiment une force positive, ou est-elle devenue une machine à piller, alimentant un cercle vicieux de dépendance et de pillage ?

Des exemples de succès et d’échecs contrastés

Historiquement, certains pays asiatiques ont démontré que le développement rapide est possible quand une gouvernance rigoureuse et des politiques efficaces sont mises en œuvre. Avant la guerre de Corée, la Corée du Sud était l’un des pays les plus pauvres du monde, avec un PIB par habitant inférieur à celui du Kenya. En à peine cinquante ans, grâce à des réformes audacieuses, la promotion du capital humain, une industrialisation ciblée et une forte gouvernance, la Corée du Sud est devenue la 10ᵉ puissance économique mondiale, multipliant son PIB par habitant par 270. Singapour et la Malaisie ont suivi des trajectoires similaires, transformant leur pauvreté d’hier en prospérité d’aujourd’hui.

À l’inverse, plusieurs pays africains très riches en ressources naturelles – le Gabon, la Côte d’Ivoire, la République démocratique du Congo – ont connu des trajectoires décevantes. Le Gabon, qui avait un PIB par habitant dix fois supérieur à celui de la Corée du Sud dans les années 1970, fait aujourd’hui face à une grave pression financière, un taux de pauvreté élevé et un endettement important. La Côte d’Ivoire, économiquement avancée grâce à ses exportations agricoles dans les années 1970, n’a pas su diversifier son économie ni investir dans l’éducation et la valorisation de son capital humain comme Singapour. Le Congo, riche en coltan, composant clé de l’électronique mondiale, n’a pas industrialisé sa production, privant son pays et le continent d’une richesse considérable.

Pourquoi cette disparité ? 

Loin d’être une question de ressources naturelles, le développement est avant tout une question de choix politiques, de modèles économiques et de gouvernance. Beaucoup de pays africains héritent d’une économie postcoloniale centrée sur l’exportation brute de matières premières, rendant leurs économies vulnérables aux chocs extérieurs, comme les variations des prix du pétrole ou des minerais. Ce modèle n’a pas permis de bâtir des systèmes productifs autonomes ni d’investir dans la formation d’une main-d’œuvre qualifiée et compétente.

Le véritable frein réside dans le leadership défaillant. Beaucoup d’élites africaines, censées porter un agenda de développement, ont échoué, souvent engagées dans des logiques d’abus, de corruption et de détournement. Cette captation des ressources publiques, souvent réalisée en complicité avec des acteurs externes, contribue à un système d’auto-sabotage qui freine la croissance et la réduction de la pauvreté. Par exemple, au Nigeria, d’importantes sommes d’APD et de revenus pétroliers ont été siphonnées, privant la population des bénéfices attendus. Entre 2006 et 2013, 6,7 milliards de dollars ont ainsi été volés par une cinquantaine d’individus hauts placés, et le général Sani Abacha a détourné à lui seul 5 milliards de dollars dans les années 1990.

L’aide publique au développement, une aide ou un leurre ?

Depuis les années 1960, l’Afrique a reçu plus de 805 milliards de dollars d’aide au développement, soit quatre fois le montant du plan Marshall qui permit la reconstruction de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, la pauvreté extrême s’est aggravée : 75% des personnes vivant avec moins de 2 dollars par jour se trouvent désormais sur le continent, et ce chiffre pourrait atteindre 90% en 2030.

Ce constat montre que l’APD, loin d’être une solution miraculeuse, peut parfois servir d’instrument pour maintenir une dépendance, voire pour alimenter des réseaux opaques de pillage des ressources. Le journaliste Tom Burgis, dans son enquête “La Machine à piller”, décrit avec précision comment cet argent destiné au développement a souvent été détourné au profit d’une minorité, étranglant les populations et condamnant des pays à la précarité.

Quels leviers pour changer la donne ?

Malgré ces constats amers, les solutions ne manquent pas. Le développement rapide et durable d’un pays nécessite selon les experts :

  • Une gouvernance transparente et responsable, débarrassée de la corruption qui privilégie l’intérêt collectif.
  • La mise en valeur du capital humain, à travers un investissement massif dans l’éducation, la formation, la recherche et la technologie.
  • La diversification économique par une industrialisation basée sur l’ajout de valeur locale, pour ne plus être simple exportateur de matières premières.
  • Une application rigoureuse des réformes, portée par des dirigeants engagés et décidés, comme ce fut le cas à Singapour ou en Corée du Sud.
  • La redéfinition du rôle de l’APD, en insistant moins sur la dépendance financière et plus sur le partenariat, le transfert de compétences, et le soutien à l’auto-détermination économique.

Le problème africain est moins technique que politique. Il faut changer de perception du développement, faire preuve d’ambition, et montrer que, contrairement à certaines idées reçues, un pays peut se transformer de façon spectaculaire en 15 à 25 ans avec les bonnes politiques.

Vers un appel à la responsabilité collective

L’aide au développement, telle qu’elle est souvent pratiquée, peut être perçue comme une machine à piller, où des fonds massifs sont détournés, des élites corrompues s’enrichissent, tandis que la majorité des populations continuent de lutter contre la pauvreté et le sous-développement. Pourtant, l’histoire prouve qu’avec un leadership clairvoyant et des politiques adaptées, le changement est possible et rapide.

Ce défi est un appel à la responsabilité des gouvernants africains, des acteurs internationaux, mais aussi des citoyens eux-mêmes, pour exiger transparence, efficacité et réformes profondes. Il est crucial d’instaurer un nouveau pacte de développement, centré sur l’intérêt réel des peuples africains, afin que l’aide devienne enfin un levier authentique de progrès, et non un instrument du pillage.

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