Décoloniser les esprits : un défi pour l’autodétermination des peuples Africains

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Décoloniser les esprits vise à déconstruire les mentalités et les représentations héritées de la colonisation, afin de permettre aux peuples africains de se réapproprier leur histoire, leur culture et leur identité. Elle implique une remise en question des valeurs, des normes et des modèles imposés par les puissances coloniales, ainsi qu’une réévaluation des savoirs africains. L’objectif est de favoriser l’émergence d’une pensée et d’une action autonomes, fondées sur les réalités et les aspirations des peuples africains.

Enjeux, héritages et résistances

Les structures politiques, économiques et éducatives héritées de la colonisation sont toujours en place, contribuant à perpétuer les inégalités et les rapports de domination. De plus, les langues et les cultures européennes occupent encore une place prépondérante dans de nombreux pays africains, au détriment des langues locales.

Ngugi wa Thiong’o dans son livre “Décoloniser l’esprit” souligne l’importance de la langue comme moyen d’expression culturelle et de communication. Il explique comment la langue est un élément essentiel de la culture, et comment la perte de la langue peut conduire à la perte de la culture. Une inquiétude qui prend de l’ampleur mais que les Africains négligent est l’utilisation des langues coloniales au détriment des langues indigènes lorsqu’ils communiquent avec leurs enfants. Il est important d’enseigner les langues et les traditions africaines aux enfants car cela est un moyen de renforcer leurs liens avec leur origine.

L’autodétermination des africains se heurte à des résistances et des obstacles de divers ordres. Certains acteurs politiques et économiques ont intérêt à maintenir les structures et les mentalités héritées de la colonisation, car elles leur permettent de consolider leur pouvoir et leurs privilèges. Par ailleurs, les médias et les industries culturelles occidentales exercent une influence considérable sur les imaginaires et les représentations en Afrique, contribuant à diffuser des stéréotypes et des préjugés qui renforcent les rapports de domination.

Dans les années 1960 et 1970 par exemple, les cheveux naturels des Africains ont été diabolisés et présentés comme étant peu attrayants. Les Africaines ont été encouragées à se débarrasser de leurs cheveux naturels et à adopter des perruques et des extensions capillaires, créant ainsi une industrie du cheveu synthétique florissante en Afrique et chez les Afro-descendants. Cette pression constante pour adopter des normes de beauté étrangères a eu un impact sur l’estime de soi et la perception de la beauté des Africains.

Aujourd’hui, les Africains, en particulier les femmes, ont commencé à adopter ces normes de beauté occidentales, en utilisant des produits de blanchiment de la peau, des perruques, etc. Il suffit de regarder combien sont florissantes les industries consacrées aux produits de dépigmentation sur nos marchés. Il suffit d’observer la somme des produits de décapage qui circulent dans nos capitales. Pour avoir une petite idée de l’ampleur du mal, 26 milliards de francs CFA par an, rien que pour cette industrie qui menace la santé publique simplement parce que certains veulent avoir le teint clair, un canon de beauté selon eux. Certains en arrivent même à mutiler leurs bébés, leurs enfants, avec ces poisons. Et cela ne concerne pas que les plus démunis. Figurez-vous, il existe même des dirigeants et des stars du show business adeptes de cette pratique d’un autre temps, autre incongruité, autre manifestation de nos complexes véhiculés par les médias et l’éducation.

Ces perruques qui prolifèrent dans nos maisons, les énormes budgets dépensés pour les différentes mèches, les différentes perruques brésiliennes ou indiennes que traînent nos sœurs et mères pour avoir une coiffure qui ressemble à celle des blanches que l’on voit généralement à la télévision. 26 milliards de dollars qui partent de l’Afrique chaque année en raison de ce complexe. En réalité, l’immense majorité d’entre nous sommes encore victimes de ce complexe construit au fil des siècles à travers différents médias, différentes doctrines et différents modèles d’éducation.

À l’école même, ceux qui sont plus instruits, qui croient être totalement débarrassés de ce complexe, de cette influence, sont quelquefois plus atteints qu’ils ne l’imaginent. Il suffit de tendre l’oreille pour écouter leur propension à citer les grands penseurs des autres régions du monde qui leur ont été présentés comme modèle, comme référence, pour comprendre que pour eux le meilleur a été fait par l’autre, par l’occidental qui détiendrait le savoir. Il suffit de vivre le regard condescendant, le mépris qu’ils ont pour ceux qui n’ont pas leur parchemin, leur diplôme, pour apprécier à quel point le mal est profond. Plus ils ont des diplômes, plus ils se sentent évolués, supérieurs. Les autres qui n’ont pas leur parchemin sont des ignorants, sont inférieurs à eux. Et pourtant, lorsque l’on voit le résultat, il n’y a pas de quoi être fier.

Les médias occidentaux jouent un rôle clé dans la diffusion de la culture de la consommation en Afrique. Les Africains ont été encouragés à acheter des produits étrangers, souvent au détriment de la production locale.

Thiong’o examine dans son livre l’impact de l’éducation coloniale sur la culture africaine, en montrant comment l’éducation a été utilisée comme un outil de domination culturelle. Il explique comment les colonisateurs ont imposé leur propre système éducatif, qui a découragé l’utilisation des langues africaines et a renforcé la domination culturelle étrangère. L’éducation coloniale en Afrique était centrée sur l’enseignement de la langue, de la culture et de l’histoire européennes aux Africains. Les Africains étaient encouragés à adopter les valeurs et les modes de pensée européens, plutôt que de développer leur propre culture et leur propre identité. Cette éducation coloniale a créé une élite africaine, déconnectée des masses africaines, qui a une vision du monde très occidentale et qui cherche à imiter les modèles occidentaux plutôt que de développer des solutions adaptées aux contextes et aux besoins africains. Cela a contribué à maintenir l’Afrique dans un état de dépendance économique, politique et culturelle. 

Aujourd’hui, 99% des dirigeants africains cherchent à se soigner à l’extérieur de l’Afrique au lieu de construire des centres de santé locaux capables de prendre en charge leurs propres besoins de santé ainsi que ceux de leur population. La classe dirigeante politique africaine envoie généralement leurs enfants à l’extérieur pour les études supérieures pendant que l’Africain moyen doit se contenter des infrastructures médiocres. Malheureusement, ce comportement de la classe dirigeante africaine ne dissuade pas les jeunes africains qui cherchent à traverser la Méditerranée pour rejoindre l’Occident, mettant ainsi leur vie en danger dans l’espoir de trouver un eldorado ailleurs.

Un défi pour l’autodétermination des peuples Africains

Au fil des siècles, avec leur narratif, ils ont imposé durablement leur mode de pensée, leur civilisation au reste du monde. La planète entière ne fonctionne, ne se définit plus que selon leur modèle, une dictature de la pensée à laquelle l’Afrique, plus que les autres, a été victime et semble toujours soumise. Elle ne pense que par le modèle qui lui a été d’abord brutalement, puis insidieusement imposé.

Elle ne se voit que dans le regard de l’autre, mais ce jugement ne s’apprécie que dans la perception du maître d’hier, ce qui a contribué au fil des siècles à faire de l’Africain un être sans personnalité, sans racine et sans originalité, un être mimétique qui déploie des trésors d’énergie pour se faire accepter comme évoluer intellectuel selon le concept de “structure”.

Plusieurs siècles d’esclavage arabe d’abord, européens ensuite. Plusieurs siècle de colonisation. Plusieurs décennies de néocolonisation plus sournoise, pillarde et psychologiquement plus violente. Tant de tragédies, de drames, d’humiliations, de frustrations ne pouvaient pas ne pas laisser de cicatrices profondes, un sérieux manque de confiance, mais surtout des complexes encore savamment entretenus par une impressionnante machine médiatique qui arrose de façon discontinue l’Afrique, imposant un mode de pensée exogène. Seulement, tout ceci est connu, ce parchemin de drame d’injustice, on en a parlé et reparlé, c’est désormais connu.

Ngugi Thiong’o soutient que la réforme du système éducatif est essentielle pour décoloniser les mentalités en Afrique, en permettant de créer une génération d’Africains conscients de leur propre identité culturelle et capables de résister à la domination culturelle étrangère. Il est crucial de former des chercheurs, des enseignants et des intellectuels africains capables de produire des connaissances et des analyses autonomes, fondées sur les réalités et les enjeux du continent.

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