Éthiopie : la plus grande centrale hydroélectrique d’Afrique est achevée

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Le Grand Barrage de la Renaissance (GERD)

L’Éthiopie vient de franchir une étape majeure dans son développement énergétique avec l’achèvement du Grand Barrage de la Renaissance (GERD), désormais la plus grande centrale hydroélectrique d’Afrique. Dotée d’une capacité installée impressionnante de 6 450 MW, cette infrastructure est conçue pour produire plus de 15 000 GWh d’électricité par an, un volume qui promet de transformer profondément le secteur énergétique éthiopien.

Avant le GERD, plus de la moitié de la population éthiopienne n’avait pas accès à l’électricité, freinant le développement économique et social du pays. Grâce à cette nouvelle source d’énergie, l’Éthiopie vise à étendre significativement l’électrification, notamment dans les zones rurales, améliorant ainsi la qualité de vie de millions de citoyens.

Au-delà des frontières nationales, le barrage ouvre la voie à une exportation d’électricité vers les pays voisins tels que le Soudan, Djibouti, et le Kenya. Cette stratégie régionale renforce la position de l’Éthiopie comme un acteur clé dans la sécurité énergétique de la Corne de l’Afrique. Par ailleurs, le GERD contribue à réduire la dépendance du pays aux énergies fossiles, s’inscrivant dans une dynamique de transition énergétique durable.

Une source de tensions régionales

Le Grand Barrage de la Renaissance, au-delà de son importance énergétique, est devenu un enjeu géopolitique majeur en Afrique de l’Est. Situé sur le Nil Bleu, principal affluent du Nil, le GERD suscite de vives inquiétudes chez les pays en aval, notamment l’Égypte et le Soudan. Ces derniers craignent que la retenue des eaux par l’Éthiopie ne réduise le débit du fleuve, essentiel à leur agriculture, à leur approvisionnement en eau potable et à leur production d’électricité.

Les négociations entre les trois pays ont été longues et souvent tendues, avec des désaccords persistants sur les modalités de remplissage du réservoir et la gestion des eaux pendant les périodes de sécheresse. Ces différends s’inscrivent dans un contexte plus large de débat autour du droit international sur les eaux transfrontalières, un sujet complexe et sensible qui touche de nombreuses régions du monde.

Face à ces tensions, l’Union africaine a joué un rôle de médiateur, tentant de trouver un compromis acceptable pour toutes les parties. Par ailleurs, des puissances extérieures comme les États-Unis et la Chine se sont également impliquées dans les discussions, reflétant l’importance stratégique du Nil au niveau international.

Pour l’Éthiopie, le GERD est bien plus qu’un barrage : il symbolise l’émancipation africaine et la capacité des États du continent à maîtriser leurs ressources naturelles sans dépendre des anciennes puissances coloniales ou des institutions financières internationales.

Un projet de souveraineté financé par les Éthiopiens

Le Grand Barrage de la Renaissance est aussi un exemple remarquable de souveraineté économique. Contrairement à de nombreux grands projets en Afrique, il a été financé presque exclusivement par des ressources internes à l’Éthiopie, sans recourir aux prêts ou aides des grandes institutions internationales telles que la Banque mondiale ou le FMI.

Le financement a reposé sur un large engagement de la population éthiopienne, qui a contribué via des obligations d’État, des dons volontaires et des taxes spécifiques. Ce modèle de financement national illustre la volonté collective du pays de prendre en main son destin énergétique et économique.

L’énergie produite par le GERD est appelée à devenir un moteur puissant de la transformation industrielle du pays. En offrant une électricité abondante et à faible coût, le barrage ouvre la voie à l’essor des industries manufacturières, à la modernisation de l’agriculture grâce à l’irrigation, et à la création d’emplois. Ces perspectives sont porteuses d’espoir pour un développement économique durable et inclusif.

Un barrage controversé

Le Grand Barrage de la Renaissance présente des avantages environnementaux importants, notamment en produisant une énergie propre et renouvelable qui contribue à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Dans un contexte mondial où la lutte contre le changement climatique est une priorité, le GERD s’inscrit comme un projet écologique majeur en Afrique.

Cependant, ce barrage soulève également des préoccupations environnementales. La modification du régime hydrologique du Nil peut avoir des conséquences sur l’écosystème aquatique et la biodiversité locale.

Comparé à d’autres grands projets hydroélectriques africains, comme Inga III en République démocratique du Congo ou le barrage de Bujagali en Ouganda, le GERD se distingue par son ampleur et son impact régional.

Une prouesse d’ingénierie africaine

La construction du Grand Barrage de la Renaissance a débuté en 2011 et s’est étalée sur plus d’une décennie, jalonnée de nombreux défis techniques, financiers et politiques. Ce chantier colossal a mobilisé des milliers de travailleurs, ingénieurs et experts, et a nécessité l’intervention d’entreprises internationales, notamment l’entreprise italienne Salini Impregilo (aujourd’hui Webuild), tout en valorisant le savoir-faire local.

Malgré les multiples retards et obstacles, le GERD est aujourd’hui achevé, incarnant une véritable prouesse d’ingénierie. Sa taille, sa capacité et son impact en font un projet emblématique, démontrant la capacité des pays africains à concevoir et réaliser des infrastructures d’envergure mondiale.

Au-delà de son aspect technique, le barrage est devenu un symbole fort du « Made in Africa » et de la souveraineté continentale. Il illustre la volonté de l’Éthiopie et de l’Afrique de prendre en main leur développement, en s’appuyant sur leurs propres ressources et compétences.

Le récit éthiopien face à la perception internationale

Dans les médias éthiopiens, le Grand Barrage de la Renaissance est présenté comme une victoire historique et une source immense de fierté nationale. Le discours officiel met en avant le barrage comme un symbole d’émancipation et de progrès, incarnant la capacité de l’Éthiopie à exploiter ses ressources naturelles pour assurer son développement durable.

Ce narratif s’inscrit également dans une perspective panafricaine, où le GERD est perçu comme un exemple de réussite africaine face aux défis du sous-développement et de la dépendance. Le barrage devient ainsi un marqueur identitaire, renforçant le sentiment d’appartenance à un continent capable de grandes réalisations.

À l’inverse, les médias égyptiens et leurs relais diplomatiques insistent sur les risques que le projet ferait peser sur la sécurité hydrique de l’Égypte, alimentant un climat d’inquiétude et de méfiance. Ces divergences médiatiques reflètent les tensions diplomatiques persistantes autour du Nil, où chaque camp cherche à défendre ses intérêts et son image sur la scène internationale.

L’achèvement du Grand Barrage de la Renaissance marque une étape décisive pour l’Éthiopie et l’Afrique dans son ensemble.

Ce projet colossal, alliant prouesse technique, engagement populaire et ambitions géopolitiques, illustre la volonté d’un pays de prendre en main son avenir énergétique et économique. Si le barrage ouvre des perspectives prometteuses en matière d’autosuffisance énergétique, d’industrialisation et de développement durable, il soulève également des défis importants, notamment sur le plan environnemental et diplomatique.

Le GERD est ainsi devenu un symbole puissant : celui d’une Afrique capable de réaliser de grands projets, mais aussi d’un continent où les ressources naturelles sont au cœur des enjeux de coopération et de rivalité. Sa réussite ou ses difficultés à venir auront des répercussions majeures sur la stabilité et la prospérité de toute la région du Nil.

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