Un fonds souverain, ou sovereign wealth fund (SWF), est une entité d’investissement détenue par un État, créée afin de gérer des excédents financiers que ce dernier souhaite préserver et fructifier à long terme. Ces excédents proviennent fréquemment des revenus générés par l’exploitation de ressources naturelles comme le pétrole, le gaz ou les minerais, mais peuvent aussi résulter de surplus budgétaires ou de réserves accumulées. Par exemple, le fonds souverain norvégien, établi en 1990, est abondé par les revenus pétroliers et représente aujourd’hui environ 1,8 trillion de dollars, ce qui en fait le plus important du monde, marchand environ 1,5% des actions cotées sur les marchés globaux.
Les objectifs d’un fonds souverain sont multiples. Majoritairement, ils visent à stabiliser l’économie nationale face à la volatilité des prix des matières premières, à assurer une épargne intergénérationnelle en protégeant la richesse nationale, et à diversifier les sources de revenus du pays au-delà du secteur primaire. Contrairement aux banques centrales, qui pilotent la monnaie ou la politique monétaire, ou aux caisses de retraite qui gèrent uniquement des fonds dédiés au social, les fonds souverains ont une latitude plus large pour investir à l’international dans des actifs multiples, allant des actions aux infrastructures en passant par l’innovation technologique.
Aujourd’hui, ces fonds déploient des capitalisations gigantesques (estimées à environ 14000 milliards de dollars au niveau mondial en 2025), faisant d’eux des acteurs incontournables des marchés financiers internationaux. Leur gestion nécessite donc une gouvernance rigoureuse pour éviter les risques de corruption ou d’influence excessive, notamment lorsque l’investissement se double d’objectifs géopolitiques comme c’est parfois le cas.
Cartographie mondiale des fonds souverains
Tableau : Actifs sous gestion des principaux fonds souverains (2024-2025)
Les fonds souverains constituent aujourd’hui l’une des forces financières les plus puissantes à l’échelle mondiale, avec un total d’actifs estimé à près de 14000 milliards de dollars en 2025. Leur répartition souligne l’influence prépondérante de quelques acteurs majeurs, mais aussi l’émergence progressive de nouveaux venus issus de régions jusqu’ici peu représentées.
Le fonds souverain norvégien, appelé Government Pension Fund Global, demeure le leader incontesté avec plus de 1800 milliards de dollars d’actifs sous gestion. Sa stratégie d’investissement, rigoureuse et largement diversifiée à l’international, lui permet de dégager des rendements records, notamment grâce à une forte exposition aux valeurs technologiques. Il constitue un exemple de gestion prudente et efficace d’une manne issue des hydrocarbures, avec une volonté affichée d’épargner pour les générations futures.
Au deuxième rang, la Chine pèse aussi très lourd avec sa China Investment Corporation, qui a vu ses actifs monter à plus de 1330 milliards de dollars, consolidant l’ambition chinoise de faire converger puissance économique et souveraineté financière internationale. Viennent ensuite des fonds issus des pays du Golfe, notamment Abu Dhabi Investment Authority et le Public Investment Fund d’Arabie Saoudite, qui jouent un rôle clé dans la diversification stratégique de ces économies très dépendantes des hydrocarbures.
Singapour, sans ressources naturelles majeures, se distingue grâce à ses fonds GIC et Temasek, qui combinent gestion active et politique financière, alliant endettement maîtrisé et investissements globalisés, ce qui fait de cette cité-État un acteur incontournable en Asie et dans le monde.
Par ailleurs, de nouveaux fonds souverains émergent avec force dans des régions en pleine restructuration économique. C’est notamment le cas de l’Indonésie, qui a lancé récemment un fonds ambitieux visant à gérer jusqu’à 900 milliards de dollars d’actifs, afin de soutenir son développement et renforcer son poids économique régional. En Afrique, des pays comme le Nigeria, l’Angola et le Ghana préparent ou consolident leurs propres fonds souverains pour mieux valoriser leurs ressources naturelles, enjeux essentiels pour leur stabilité et leur croissance futures.
Ce panorama fait apparaître une concentration très nette autour des grandes puissances économiques et productrices de matières premières, mais aussi une diversification régionale croissante, signe que le modèle des fonds souverains s’impose comme un outil clé pour piloter la transformation économique mondiale.
Stratégies d’investissement : où vont les milliards ?
Les fonds souverains sont à l’avant-garde d’une diversification mondiale de l’investissement. Leur stratégie évolue rapidement, intégrant de nouveaux impératifs économiques, sociaux et environnementaux.
Transition vers l’investissement durable et les énergies renouvelables
En 2025, environ 67 % des fonds souverains prennent désormais en compte au moins un des Objectifs de Développement Durable des Nations unies dans leurs allocations, contre 48 % seulement en 2022. Ce changement majeur place la durabilité au cœur des stratégies. L’énergie renouvelable devient la principale priorité : on estime que les seuls investissements des fonds souverains dans ce secteur ont dépassé 6 milliards de dollars sur une seule année, avec la volonté d’agir comme investisseurs patients et visionnaires pour combler le déficit mondial de financement des énergies vertes, qui atteint 2 200 milliards de dollars annuellement. Les fonds du Golfe, de Norvège, de Chine, mais aussi ceux d’Afrique (NSIA au Nigeria, Ithmar Capital au Maroc, FONSIS au Sénégal, TSFE en Égypte) jouent un rôle moteur dans ce mouvement d’allocation vers des infrastructures bas carbone et des projets d’énergie propre.
Technologies, innovation et montée en puissance de la Chine
L’innovation technologique constitue un autre pilier stratégique. Les fonds souverains s’y engagent massivement, notamment en Chine où près de 60 % prévoient d’augmenter leur exposition aux secteurs de la tech, de l’intelligence artificielle, des véhicules électriques et des semi-conducteurs dans les années à venir. Cette tendance n’est pas limitée à l’Asie : dans un contexte de rivalités géopolitiques, les plus importants fonds mondiaux multiplient les prises de participation dans les jeunes pousses, les plateformes numériques et les technologies vertes pour bénéficier de rendements supérieurs sur le long terme et ne pas manquer la prochaine vague d’innovation mondiale.
Diversification des secteurs et approches alternatives
- Immobilier et infrastructures : Les investissements structurants dans les réseaux énergétiques, ports, aéroports, data centers et bâtiments verts sont en forte hausse et visent à générer des flux stables dans le temps.
- Private equity et private credit : Les fonds privilégient de plus en plus le non coté et le financement alternatif. Le private credit séduit particulièrement, avec 73 % des fonds qui déclarent augmenter leurs positions dans cet univers, afin de générer des revenus stables et diversifiés, moins corrélés aux cycles boursiers traditionnels.
- Partenariats et co-investissements : Ils s’associent fréquemment à des banques de développement, des institutions multilatérales (Banque africaine de développement, IFC, etc.) et des investisseurs privés pour financer de vastes projets d’infrastructures, d’innovation ou de transition énergétique, notamment en Afrique.
Leur influence géopolitique croissante
Les fonds souverains sont devenus d’authentiques instruments de puissance et de projection d’influence à l’échelle mondiale, brouillant volontiers les frontières entre économie et géopolitique. Leur capacité à investir massivement dans des entreprises stratégiques, des infrastructures majeures ou des technologies de rupture confère à leurs pays d’origine un levier d’action inédit. Qu’il s’agisse de soutenir des entreprises nationales à l’étranger, de participer à des opérations de sauvetage ou de peser sur des chaînes de valeur critiques, ils s’imposent comme les nouveaux architectes de la géoéconomie.
Par exemple, la montée en puissance des fonds du Golfe, de la Chine ou de la Norvège modifie profondément l’équilibre des marchés et attire l’attention des gouvernements occidentaux. Nombre de ces pays renforcent leurs dispositifs de filtrage ou de limitation des investissements étrangers, particulièrement dans les secteurs sensibles comme la technologie, l’énergie et la défense. La France a multiplié les restrictions, et l’Union européenne tout comme les États-Unis adaptent continuellement leurs cadres réglementaires pour éviter une prise de contrôle étrangère sur des actifs majeurs.
Derrière ce « grand jeu » financier, la compétition mondiale pour l’accès à l’innovation, aux ressources stratégiques et à l’influence numérique se joue en coulisses, à travers les portefeuilles de ces géants étatiques. Ainsi, l’argent devient une arme de négociation, et la fluidité des marchés se retrouve tiraillée entre ouverture au capital mondial et réflexes protectionnistes. Dans un environnement d’incertitude croissante, la stabilité apportée par les fonds souverains est équilibrée par les doutes sur leur véritable objectif : simple recherche de rendement, outil de diplomatie, ou prolongement d’enjeux stratégiques bien plus vastes.
L’avenir des fonds souverains
L’essor des fonds souverains ne semble pas près de s’interrompre, bien au contraire. Leur rôle devrait croître dans le financement de la transition énergétique : ils s’imposent comme des acteurs clés pour capter la demande mondiale en infrastructure verte et innovation technologique, notamment via les énergies renouvelables, le stockage ou les mobilités propres.
Dans les pays émergents et en Afrique, la création de fonds souverains devient un enjeu central pour transformer les recettes extractives en leviers de développement autonome, financements d’infrastructures et stabilisateurs macroéconomiques. Cette dynamique sud-sud dessine une nouvelle carte des flux de capitaux, moins centrée sur les pays du Nord.
Enfin, le défi du XXIe siècle pour ces institutions sera de savoir maintenir l’équilibre entre quête de rendement, investisseur responsable et rôle géopolitique assumé. Elles façonnent déjà la recomposition du capitalisme mondial : territoires d’influence, financements de la transition écologique, partenariats sud-sud et arbitrage constant entre maximisation de la performance et impératifs de société.
Fonds souverains africains
L’Afrique incarne un terrain d’innovation pour les fonds souverains, qui s’y déploient avec une ambition affirmée : transformer la rente extractive en capital durable et appuyer un développement souverain. Face à la volatilité des cours mondiaux et aux enjeux de diversification économique, plusieurs États africains ont mis sur pied des véhicules financiers capables d’investir localement dans l’infrastructure, l’énergie, la santé ou encore l’agro-industrie.
Ce mouvement vise à éviter le syndrome de la « malédiction des ressources », où l’abondance minière ou pétrolière ne profite qu’à court terme. Le Nigeria, l’Angola, le Sénégal ou le Ghana capitalisent désormais sur leurs fonds souverains pour bâtir des réserves servant de bouclier macroéconomique et de relais d’investissements structurants. Un fonds bien géré, transparent et indépendant y devient un outil-clé pour attirer les capitaux privés, soutenir l’innovation locale et garantir une certaine autonomie face à l’aide ou à l’endettement extérieurs.